PLONGÉE DANS LE MONDE JUIF DE PARIS
Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps
Retrouver Paris après toutes les péripéties que la Capitale a vécues, en ce début d’année, ne peut pas s’effectuer sans une certaine appréhension. L’image subliminale de la panique décrite par les medias hante les esprits et pourtant, il faut se rendre à l’évidence, le calme plat règne au sein d’une communauté juive qui semble insensible aux mots d’ordre visant à la pousser à l’expatriation.
L’assassinat
de l’hyper cacher semble déjà loin comme s’il s’agissait d’un simple épisode dramatique. La communauté
juive, longtemps tétanisée, est sereine malgré les mises en garde contre un
antisémitisme latent, par inconscience peut-être, par fatalisme certainement.
Une certitude, le départ n’est pas à l’ordre du jour pour la majorité des Juifs
de Paris qui n’ont pas écouté les appels au départ des dirigeants israéliens.
On revient ainsi aux
fondamentaux d’une alyah choisie par conviction et par idéalisme sioniste et
non pas par nécessité. L’analyse des chiffres de l’alyah française en 2014 a
été entachée d’un contre-sens volontairement éludé. Certes 6.694 Français ont
choisi Israël en 2014 contre 3.414 en 2013. Mais on a volontairement omis de
préciser que cette croissance exceptionnelle n’était pas naturelle ni liée à la
situation sécuritaire en France. Elle résultait d’un choix fiscal car, en devenant israéliens, de nombreux Français protégeaient automatiquement leurs avoirs en Israël non déclarés en France. Ainsi, la
moitié de ceux qui ont fait leur alyah en 2014 sont retournés vivre en France, après un
court séjour en Israël, en emportant avec eux leur carte d’identité israélienne
nouvellement acquise.
Notre
objectif n’est pas de montrer du doigt cette catégorie de Juifs qui exploitent à
bon escient la loi fiscale mais d’attirer l’attention des dirigeants israéliens
sur leur optimisme exagéré en 2014 qui les pousse à ne rien envisager de nouveau alors qu'ils doivent prendre des mesures excepyionnelles s’ils
veulent vraiment attirer les Juifs français pour lesquels ils ne font rien.
Nous avons balayé différents quartiers de Paris pour nous entretenir avec une
palette de Juifs représentatifs des différentes classes sociales laïques ou
religieuses. Paradoxalement, les religieux sont les moins chauds à s'expatrier car, avec leur famille nombreuse, ils bénéficient d'avantages sociaux qui les mettent à l'abri du besoin.
Lag baomer à Sarcelles |
Il
est certain qu’à l’exception de certains quartiers chauds de la Capitale ou de la banlieue,
l’indifférence aux risques sécuritaires règne. Les Juifs continuent à vivre
dans l’insouciance des jours heureux qu’ils ont toujours connus. Les places
sont chères au restaurant Guichi du 19ème qui a ouvert sa terrasse pour les
beaux jours. De nombreux maghrébins côtoient les Juifs dans une paix teintée
d’indifférence. Les kippas et les foulards bariolés des juives pieuses sont affichés
en pleine rue sans aucun complexe ni aucune inquiétude. Non, «ils n’ont pas
peur» et pour eux la cohabitation avec les Arabes reste pacifique,
indifférente aux aléas de la politique. Certes ils vivent en s’ignorant mutuellement mais ils partagent certains plaisirs de la vie. Non, pour eux Israël est seulement
une destination touristique. Ils songent certes à l’alyah mais «elle n’est
pas encore planifiée dans leur esprit d’autant plus qu’il faut bien la préparer
et bien l’organiser. La vie est dure en Israël et le gouvernement ne fait rien
pour les Français alors que les Russes sont les mieux lotis».
Le président du Likoud en France, Jacques Kupfer, qui ne peut pas être suspecté d'être un opposant au gouvernement, vient d’abonder dans notre sens en déclarant : «Le fort antisémitisme en France accélère le processus mais les Juifs de France se voient opposer la bureaucratie à leur arrivée».
Il est vrai que la plupart des familles juives de Sarcelles paient un loyer modéré de 300 euros (1.500 shekels) pour des revenus de 1.200 euros (6.000 shekels). Ils arrondissent leurs fins de mois en les doublant avec les allocations nationales et municipales. S'ils ne sont pas aidés en Israël, ils ne pourront jamais faire le grand saut.
Jacques Kupfer |
Le président du Likoud en France, Jacques Kupfer, qui ne peut pas être suspecté d'être un opposant au gouvernement, vient d’abonder dans notre sens en déclarant : «Le fort antisémitisme en France accélère le processus mais les Juifs de France se voient opposer la bureaucratie à leur arrivée».
Il est vrai que la plupart des familles juives de Sarcelles paient un loyer modéré de 300 euros (1.500 shekels) pour des revenus de 1.200 euros (6.000 shekels). Ils arrondissent leurs fins de mois en les doublant avec les allocations nationales et municipales. S'ils ne sont pas aidés en Israël, ils ne pourront jamais faire le grand saut.
Même
son de cloche dans les beaux quartiers du Trocadéro qui ont vu un accroissement
de la population juive venue des quartiers chauds. Dans ce nouveau Pletzl, les petites synagogues
s’ouvrent encore au gré des traditions alors qu’une dizaine existe déjà. De
nouvelles superettes tenues par des Juifs viennent s’ajouter à celles
existantes avec leurs nombreux produits importés d’Israël. Des nouveaux
traiteurs ou restaurants offrent une variété de spécialités françaises, italiennes,
chinoises et japonaises certifiés par le Beth-Din. La clientèle aisée se
«sent bien à Paris et ne pourra en aucun s’habituer à la vie compliquée en
Israël, surtout en raison des différences culturelles». Si elle investit
dans l’immobilier en Israël, c’est uniquement à des fins d’investissement ou
pour s’assurer contre une éventuelle catastrophe non planifiée.
Pour eux, l’alyah n’est pas
d’actualité car le gouvernement français a montré sa volonté de protéger les
Juifs qui envisagent leur avenir
toujours en France. Ils le prouvent d'ailleurs en investissant dans des commerces à l’instar
de ce dernier restaurant-salon de thé, au nom d’une grande enseigne juive connue dans
le 19ème, qui vient de s’ouvrir au centre de l’avenue Poincaré,
signe que l’on reste confiant sur la présence permanente des Juifs en France.
Cela
explique pourquoi les chiffres de l’alyah française vont retrouver en 2015 le
rythme normal de 2.000 à 3.000 personnes par an. Selon les statistiques du ministère israélien de
l'Intégration, seulement 1.710 Juifs français ont fait leur alyah au cours des cinq
premiers mois de l'année 2015, mais il ne donne pas le chiffre des retours.
Plusieurs
explications peuvent être données à cette indifférence vis-à-vis de l’alyah de la part des Français. Il
n’existe en Israël aucune discrimination positive pour les emplois de
fonctionnaires de l’Etat. La difficulté linguistique et culturelle reste un
barrage sérieux pour une majorité de Français qui voient dans l’hébreu une
langue difficile. Les professionnels éprouvent de sérieuses difficultés d’intégration car leurs diplômes délivrés par de prestigieuses universités françaises ne sont pas reconnus. Les promesses d’élus francophones d’intervenir au sommet
de l’Etat ne sont que paroles comme si le pays ne cherchait qu’à satisfaire
d’abord ceux qui risquent leur vie, comme en Ukraine.
Alyah d'Ukraine |
Des
emplois souvent précaires sont proposés aux nouveaux venus en Israël, exploités
par des «négriers» qui les emploient à bas salaires durant une période
de onze mois au terme duquel ils sont licenciés sans préavis et sans indemnité
car la loi israélienne impose une année de travail pour bénéficier des normes
sociales. La moitié des nouveaux
immigrants français travaillent en effet dans leur langue natale au sein des 80 centres
d'appels en Israël qui vendent leurs services à des sociétés françaises. Ceux qui
ont des motivations religieuses ou sionistes acceptent cette condition précaire avec
philosophie car leurs convictions priment sur leur condition matérielle. Les
autres résistent quelques mois puis, la mort dans l’âme, décident de retourner
dans leur pays d’origine, en rasant les murs car ils reconnaissent leur propre
responsabilité dans leur échec. Ils ont surtout souffert de leur isolement
culturel car, contrairement aux Russes, ils n’ont pas investi pas pour avoir la
maîtrise de l’hébreu qui ppouvait leur ouvrir la voie à des emplois mieux rémunérés. Ils
ont aussi souffert de la baisse dramatique du change de l’euro qui a réduit de
15% au moins leurs économies alors que, dans le même temps, l'immobilier monte.
Le
nouveau gouvernement devra s’inspirer des conditions instituées dans les années
1970 en offrant immédiatement des logements sociaux à bas coût aux nouveaux venus, avec option d’achat à terme. Il devra réserver quelques emplois de
fonctionnaires dans les ministères, les organismes d'Etat ou les mairies. Il devra immédiatement reconnaître
les diplômes des universités françaises en permettant de travailler au terme d’une
période six mois pour apprendre l’hébreu. Les voitures ainsi que les appareils
ménagers doivent être totalement détaxés pour les ramener au niveau des prix
européens. Il ne s'agit plus d'un luxe mais d'un moyen de transport permettant une meilleure mobilité dans l'emploi.
La France est le plus grand vivier de Juifs européens candidats à l'émigration. Il faut mettre les grands moyens si l’on veut attirer des familles de la classe moyenne pour lesquelles les conditions matérielles conditionnent leur décision. La fin justifie les moyens. Dans le cas contraire, les Juifs français resteront heureux en France.
La France est le plus grand vivier de Juifs européens candidats à l'émigration. Il faut mettre les grands moyens si l’on veut attirer des familles de la classe moyenne pour lesquelles les conditions matérielles conditionnent leur décision. La fin justifie les moyens. Dans le cas contraire, les Juifs français resteront heureux en France.
J espère quand même que ceux qui reviennent ne sont pas les mêmes qui ont craché dans la soupe tricolore...
RépondreSupprimerJacques, avez-vous lu cet article publié par ynet aujourd'hui : http://www.ynetnews.com/articles/0,7340,L-4669430,00.html ? Cela semble contredire la diminution que vous semblez envisager...
RépondreSupprimerMon impression est toute différente de la vôtre. Il me semble que "le calme plat" est loin de régner dans la communauté juive parisienne, qu'elle soit laïque ou religieuse. Bien au contraire à mon sens la sérénité a disparu pour faire place à un malaise palpable chez la plupart.
RépondreSupprimerBien sur il y aura toujours des sourds et aveugles aux événements récents, moi-même l'ai-je entendu ici à Tel-aviv de quelqu'un qui se sentait en sécurité au prétexte qu'elle habitait près de la Tour Eiffel. Ceux-là seront les derniers à réagir à une situation pourtant complexe.
Autre point de désaccord: l' alyah fiscale. Tout foyer fiscal en France est dans l'obligation de déclarer au fisc l'intégralité de ses biens, y compris ceux détenus à l'étranger. Ce n'est donc pas la carte d'identité israélienne qui les soustrait à cette obligation car le retour en France implique la contrainte à la loi fiscale.
Quant aux statistiques, seules sont connues les candidats au départ pour Israël. Qu'en est-il des juifs quittant la France pour les USA ou le Canada?
Bien cordialement
Véronique Allouche