NOUVEAU GOUVERNEMENT : COMMEDIA DELL’ARTE
Par Jacques BENILLOUCHE
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Ce
serait comique si la situation n’était pas sérieuse. Nous vivons vraiment dans
un théâtre populaire italien où des acteurs, non masqués cependant, improvisent
des comédies marquées par la naïveté, la ruse et l'ingéniosité. Nous avons à
faire à des comédiens professionnels, des hommes politiques. Benjamin
Netanyahou dispose d’un délai jusqu’au 7 mai pour présenter un nouveau
gouvernement et il ne se passe pas une journée sans que nous ayons des
informations sur la dramaturgie qui se déroule dans les alcôves de la résidence
du premier ministre.
Le président mandate Netanyahou pour former le gouvernement |
Les
élections du 17 mars avaient pourtant donné un résultat clair contrairement à
celles de 2009 où les deux listes arrivées en tête n’étaient séparées que d’une
voix. La droite israélienne a remporté une victoire écrasante. Le Likoud a
obtenu 30 sièges tandis que l’Union sioniste 24. La liste arabe est arrivée en
troisième position avec 13 députés. Sur le papier, Netanyahou pouvait aligner
une coalition de 67 députés comprenant le Likoud (30), Koulanou (10), le Foyer
juif (8), Shass (7), Israël Beiteinou (6) et Yaadouth Ha torah (6).
Mais
les choses faciles sont les plus compliquées car il faut tenir compte des
appétits politiques des uns, des exclusives des autres, des exigences de
certains et de la capacité de chantage des partis. Le jeu des chaises musicales
entre ministres est complexe dans le pays du Talmud où l’on sait pourtant concilier
les contradictions apparentes. La bataille est lancée sans concessions car les
120 députés veulent être ministres alors que le nombre de portefeuilles est
limité à 18 sans compter les quelques secrétaires d’État.
Chaque ministre a droit à un
cabinet, un bureau, une voiture, un chauffeur et des gardes du corps et cela
attise les ambitions. L’attribution des ministères ne se fait pas en fonction
des compétences mais les impétrants sont plutôt intéressés par les
disponibilités financières. En réalité les directeurs des ministères gèrent
tandis que le ministre cherche à durer, à se faire remarquer et à défendre le
budget de son ministère. Cela lui permet de caser des fidèles de son parti dans
des postes de direction. Plus le ministère est important et plus il y a de
budget à distribuer pour remercier la fidélité.
Par ailleurs, chaque premier
ministre a tendance à placer ses adversaires les plus coriaces dans des postes
où ils le gêneront le moins, une sorte de cadeau empoisonné dans un placard
doré. Ce fut le cas du journaliste Yaïr Lapid nommé aux finances auxquelles il
ne comprenait rien. En 1999, ce fut le cas du professeur d’histoire Shlomo
Ben-Ami nommé au ministère de la Police, et de Yossi Beilin au ministère de la
justice où ils échouèrent lamentablement. Mais Netanyahou doit tenir compte de
l’équation difficile à résoudre car tous les ministres sont par ailleurs hauts
dirigeants de partis.
Kahlon-Galant |
Moshé
Kahlon avait posé ses conditions au cours de la campagne électorale. Il était
prêt à rejoindre toute coalition de droite ou de gauche qui lui offrirait le
ministère des finances pour lui, le ministère de la construction pour Yoav
Galant et la présidence de la commission de la Knesset où tout se dessine et
tout se décide souvent par opposition au projet du ministre. Contrairement à
Yaïr Lapid qui n’a pas pu agir, Kahlon voulait avoir les mains libres pour
appliquer son projet destiné aux classes moyennes et défavorisées. Il a eu
partiellement satisfaction car la présidence de la commission lui a été refusée
en échange du ministère de la protection de l’environnement qui devrait revenir
à Elie Elalouf.
Bennett et Lieberman |
Le
poste des affaires étrangères est très recherché car le ministre rencontre les
Grands du monde, représente l’État dans ses déplacements et se fait connaître à
l’étranger pour prétendre ensuite au poste de premier ministre. Avigdor
Lieberman considère son poste comme un titre de propriété et, malgré le désaveu
de ses électeurs, il exige d’être maintenu à des fonctions qui l’ont rendu
tricard dans toutes les chancelleries occidentales alors qu’Israël doit sortir
de sa situation d’isolement diplomatique. Il est acquis qu’il occupera à
nouveau cette fonction car il est le seul à pouvoir obtenir satisfaction auprès
de Poutine.
Bennett se rendant à l'école |
Parce
que Yaalon est inamovible au ministère de la défense, il ne reste plus que le
ministère de l’éducation pour Naftali Bennett qui représente l’aile droite de
la coalition. Cela aurait pu être suffisant, si par suite de ses mauvais
résultats, Bennett n’était pas contesté par ses militants. Alors qu’il espérait
15 députés au lieu des 8 obtenus, le parti HaBayit Hayehudi a été ramené au
temps du parti National religieux. De profonds troubles s’affichent ouvertement
et conduisent les déçus à des déclarations publiques intempestives réclamant
même le remplacement du leader actuel. Bennett est accusé d’avoir trop fait
confiance à ses conseillers qui l’ont embarqué dans des choix de campagne
désastreux.
Ayelet Shaked |
Le Foyer juif devrait donc se contenter du ministère de
l’agriculture pour Uri Ariel et du ministère des personnes âgées ou de la
culture et des sports pour la Dame de Fer Ayelet Shaked qui avait
d’autres ambitions. Deux vrais lots de consolation qui risquent de faire
éclater en dernière minute la signature de l’accord de coalition.
La
grogne se fait aussi entendre du côté du Likoud où, en paraphrasant la
déclaration d’un ministre français, les militants souhaitent bien l’ouverture à
condition qu’elle aille jusqu’aux membres de Likoud. Les dernières rumeurs
donnent au parti du premier ministre au moins la défense, la justice, la
sécurité publique, les transports et la protection sociale.
Dhery |
Le président des orthodoxes séfarades
du Shass, Arie Dhery a été débouté de sa demande d’obtenir le ministère de
l’intérieur et les affaires religieuses qui disposent d’un budget conséquent à
distribuer aux fidèles. Il pourrait être relégué au ministère de l’agriculture
où il aura peu de rabbins à placer.
Sentant la position de
Netanyahou fragile, chacun des partis y va de ses exigences, pour ne pas dire
de son chantage en menaçant de quitter la coalition. Ainsi le Shass avec ses 7
députés menace de se tourner vers l’Union sioniste à gauche. Tout est bon pour
imposer ses exigences avant la signature d’un accord. En plus de ses
ministères, Kahlon exige de son côté que lui et son adjoint, l'ancien
commandant de Tsahal Yoav Galant, entrent au saint des saints, le cabinet de
sécurité où toutes les décisions du gouvernement sont réellement prises. Une
seule place lui a été proposée. Le parti ultra-orthodoxe Judaïsme unifié de la
Torah (UTJ) est prêt à signer son accord pour le ministère de la santé où il
est totalement incompétent mais à la dernière minute il exige l’annulation de
la réduction des budgets pour les écoles talmudiques votées par le précédent gouvernement
de coalition ainsi que le gel de la loi
controversée sur les conversions.
À l’heure où ces lignes sont
écrites, tout est encore en discussion. Habile politique, Benjamin Netanyahou
joue le froid et le chaud en distillant des rumeurs infondées de négociations
en cours avec l’Union sioniste à gauche qui lui apporterait ses 20 députés dans
un gouvernement d’union nationale excluant l’extrême-droite.
Ayman Odeh |
Rien n’étant impossible, la rumeur va jusqu’à courir que Netanyahou,
lassé par les exigences sans fins des partis juifs, a invité le président de la
Liste arabe unifiée, Ayman Odeh, à venir le rencontrer dans sa résidence pour
proposer un poste de ministre à un arabe modéré. Le chef arabe se serait justement
rendu à Ramallah pour rencontrer le leader de l’Autorité palestinienne, Mahmoud
Abbas et obtenir de sa part son imprimatur. Le premier ministre compte sur cet
électrochoc pour convaincre les partis à accepter ses conditions avant le 7
mai.
C’est un véritable théâtre de marionnettes qui se joue face aux Israéliens
habitués depuis longtemps à assister à une dramaturgie réglée comme du papier à
musique par un chef d’orchestre rompu aux négociations depuis près de vingt
années de pouvoir. Gageons qu’autour du 5 mai, les acteurs auront trouvé une
fin heureuse au mélodrame de la formation de la coalition.
J'espère que l'ambition des futurs ministres va au-delà du cabinet, du bureau, de la voiture avec chauffeur et des gardes du corps car alors Israël serait en bien mauvaise posture et ferait face à un avenir tout à fait incertain.
RépondreSupprimerC'est justement parce que Netanyahou a une grande d'expérience politique qu'il fera les bons choix.
Cordialement
Véronique Allouche
Merci Jacques, de tenir un rôle de vigie !
RépondreSupprimerLine Meller
Excellent article sur cette coalition en gestation d'un gouvernement !
RépondreSupprimerL'essentiel est que les affaires étrangères et La Défense soient entre des mains expérimentées : Liberman et Ayalon .
Kahlon à l' Économie et Netanyahu à son poste , cela fait un carré d'as et tous les autres n'ont pas grande importance.
Les israéliens ont bien voté et ils seront bien servis.
André Mamou TJ