NÉGOCIER AVEC BACHAR
Le billet d'humeur de Jean SMIA
Des bruits
courent qu'il faut négocier avec Bachar El Assad. Négocier quoi ? Un espace pour le Daesh ?
Rendre la Syrie à l'empire Ottoman ? Recréer un État des Alaouites comme en
1920 ? Lorsque l'on considère le contexte historique par lequel les Alaouites
sont au pouvoir, on prend conscience qu'il n'y a rien à négocier. Deux
paragraphes résument la réalité historique avant de commenter.
Les Alaouites
Ils sont près de trois millions, soit 10 à 12% de la population
syrienne. Le clan des Al-Assad, qui gouverne la Syrie depuis 1970, est en
majorité de confession alaouite. Cette religion est un mélange d'éléments venus
du chiisme, du christianisme byzantin et de cultes hellénistiques. La pratique
et l’organisation de leur religion sont souples. La prière se fait dans
l’intimité au domicile, seuls les hommes sont initiés pendant leur adolescence,
les femmes ne portent pas le hijab, l’alcool est toléré, les adeptes ignorent
le jeûne et le pèlerinage à la Mecque. Ils croient en la réincarnation et
célèbrent une forme d'eucharistie à l'aide de pain et de vin. Ils célèbrent des
fêtes aussi bien musulmanes que chrétiennes.
Pour des raisons plus politiques que religieuses,
les Sunnites, ennemis jurés des Chiites, les considèrent comme chiites et
hérétiques car ils vouent un culte à Ali. Et ce, malgré la fatwa du grand mufti
de Jérusalem qui, en 1936, a incorporé la doctrine alaouite à la Oumma.
Une minorité
longtemps méprisée
Jusqu’au XXe siècle, la minorité
alaouite a toujours subi humiliations et persécutions, vivant retirée dans sa
région d’origine : les montagnes du nord. Sous les Ottomans, seuls les
domestiques alaouites étaient tolérés dans les villes. En 1920, l’occupant
français a créé un «État des Alaouites» mais doit y renoncer sous la
pression des milieux nationalistes arabes (déjà !).
Les Turcs, perdant la Première
Guerre mondiale, perdent également l'autorité sur ce territoire au profit des
Français. Ce territoire devient État des Alaouites, puis en 1930 «Territoire
ou Gouvernement de Lattaquié». Les Français encouragent, pendant
l'entre-deux-guerres, un particularisme alaouite qui conforte à faire de
ceux-ci un peuple à part entière, en bouclier au nationalisme arabe des
sunnites (déjà aussi !).
En 1937, ce territoire du nord est intégré à la
Syrie. Peu à peu, les Alaouites commencent à s’intégrer dans la société. Dans
les années 40 et 50, ces partisans de l’idéologie laïque du parti Baas
deviennent militaires et fonctionnaires. La prise du pouvoir par le général
Hafez Al-Assad, père de l’actuel Bachar Al-Assad, leur ouvre les portes du
gouvernement.
La nécessité de
survivre
Aujourd’hui, nombre d'Alaouites
redoutent, en cas d’effondrement du régime, de subir, de la part des sunnites,
le même sort que les Chrétiens d'Irak. Il n'est pas impossible qu'ils soient
tentés de constituer un réduit dans leur région d’origine: les montagnes
surplombant la côte nord-ouest. Un tel processus semble s'ébaucher. Des villes
sunnites, en périphérie de la région alaouite, ont ainsi été victimes d’un
phénomène de purification ethnique: l’armée fidèle à Bachar Al-Assad a laissé
les habitants fuir vers le Liban et la Turquie.
Lorsque l'on évalue les chances
de survie d'une minorité religieuse quelconque dans le contexte totalitaire
actuel des terres d'islam, qu'il soit sunnite ou chiite, il n'y a de sauvegarde
pour une minorité que dans un territoire indépendant, convenablement et
solidement défendable et défendu, et, qui ne compte pas sur les promesses des
étrangers à la région pour défendre leur intégrité, n'en déplaise à messieurs
Kouchner et Fabius.
C'est leur peau qu'ils
défendent, pas des principes moraux élastiques. Lorsqu'il s'agit de sauver la
vie de ses enfants: il n'existe aucun interdit applicable dans la façon de les
défendre. Quelle que soit l'arme de destruction massive à utiliser. Qui
condamnerait les Chrétiens d'Irak s'ils avaient pu sauver leur peau en
utilisant des armes interdites ? Et en plus, c'est la France
qui avait placé les Alaouites dans cette position de bouclier au nationalisme islamiste.
Démocratie
pacifique
À moins que, fiers l'expérience libyenne,
et pressés de la réitérer, ces Messieurs s'obstinent de rêver à l'apparition
soudaine et spontanée d'une démocratie pacifique en Syrie, en Arabie Saoudite
et en Iran. Cependant, il reste étonnant de constater la «vista» des
hommes politiques de 1936 comparée au manque d'anticipation de nos diplomates
actuels et surtout leur absence d'esprit de synthèse en regard des événements
autour de l'arabo-islamisme. En effet, trois mouvements
principaux semblent se faire une guerre sans merci : Sunnites, Chiites et
Frères musulmans.
Pourtant, les trois ont le même
objectif annoncé et proclamé : islamiser le monde. Ils ne différent que par la
méthode : certains ont décidé de conquérir des territoires à partir de
l'endroit où ils sont et d'étendre militairement leurs conquêtes, d'autres ont
décidé d’insérer des multitudes de cellules actives dans les territoires à
conquérir et de profiter de toute faiblesse locale pour occuper définitivement
l'espace. Et devant ce projet clairement déclaré et non dissimulé, la seule
préoccupation de nos diplomates est de chercher avec lequel des trois s'allier.
Les diplomates de 1936 avaient
judicieusement analysé la solution. Elle consiste à armer et rendre invulnérables
toutes les minorités de la région : Les Kurdes, les Alaouites et autres
barrages à cet expansionnisme.
Mère-grand, comme vous avez de grandes dents… C'est
pour mieux te convertir, mon enfant.
Monsieur votre analyse est très structurée et donne une vision de la situation coté européen des plus parfaite.
RépondreSupprimerSeulement il ne faut pas oublier l'administration Américaine qui a refusé de détrôner Assad dans le seul but d'entamer de futures négociations avec l'Iran
et par là même infligeant un sacré camouflet à la France.
L'Amérique prendra les décisions qui seront guidées par ses propres intérêts comme les Anglais au temps de leur colonialisme dans la région. La position de la France ou de l'Europe ne sera que secondaire.