LE HEZBOLLAH JOUE SON EXISTENCE FACE À DAESH
Par Jacques BENILLOUCHE
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Le Hezbollah (Parti de Dieu) a
été créé en juin 1982 en réaction à l’invasion israélienne du Liban en
s'appuyant sur un financement iranien. Mais l’Iran, en crise économique grave actuellement,
peine à le financer. Les restrictions de cette aide financière mettent la
communauté chiite libanaise devant ses responsabilités. Tant que le Hezbollah
pouvait se glorifier de ses victoires et tant que l’économie iranienne était
prospère, Téhéran avait dépensé sans compter pour financer et armer son protégé
libanais qui a longtemps profité de cette manne. Mais les choses ont évolué parce que l’ambition régionale de l’Iran a subi des contrecoups, soit économiques avec
les sanctions occidentales, soit militaires avec l’expansion de Daesh dans son
fief irakien.
Idéologie
de résistance
À la suite de son implication
militaire dans le conflit syrien aux côtés de Bachar Al-Assad, beaucoup de pays
arabes avaient accusé le Hezbollah d’abandonner son idéologie de résistance contre Israël pour tuer d’autres
musulmans. Certes, il se rappelle de temps en temps au souvenir des medias
en organisant une attaque contre «l’ennemi sioniste», comme celle contre
les fermes de Chebaa le 7 octobre 2014, pour prouver qu’il peut agir sur
plusieurs théâtres militaires à la fois. Face à un pouvoir libanais décomposé
et à une armée libanaise restée à l’état d’embryon, il s’est même attribué le
rôle de défendre les frontières libanaises, de lutter contre le terrorisme et
de combattre les insurrections de Syrie et d’Irak. Il avait des prétentions
internationales tant que l’Iran finançait et l’aidait en lui envoyant des
généraux et des éléments des Gardiens de la Révolution pour l’aider dans ses
missions.
Cette ambition démesurée a
transformé la milice islamiste en armée intervenant sur des théâtres
internationaux. Le Hezbollah avait d’abord préparé l’arrivée des Iraniens en
Irak puis avait été missionné pour combattre la rébellion en Syrie. Certains
trouvaient que ces activités, au-delà de ses terres du Liban, dépassaient sa
vocation première de lutter contre les Israéliens. Il s’était attribué le rôle
de gendarme chargé d’éradiquer le danger de Daesh en Syrie, en Irak et même au
Liban. Alors, de mouvement de guérilla, il a pris l’allure d’armée hybride
combattant contre des forces composites.
Bataille
existentielle
Mais le combat simultané contre
Daesh et le front Al-Nosra le dépasse car il a affaire à des sanguinaires
déterminés à éliminer tous les chiites. Il s’agit d’une véritable bataille
existentielle autrement plus idéologique et plus risquée que le combat contre
Israël. Les djihadistes, contrairement à l’État juif, remettent en question sa
doctrine religieuse chiite et accessoirement son droit même d’exister. Ils deviennent
involontairement des alliés objectifs d’Israël sur un même plan militaire. D’ailleurs
Nasrallah n’a pas hésité dans ses discours à assimiler l’action des djihadistes
comme comparable à celle des Israéliens avec une argumentation osée puisqu’ils
les accusent ensemble de vol de terres et de destructions de maisons. Le
Hezbollah va jusqu’à assimiler le viol des femmes et le meurtre d’enfants à des
méthodes juives pour marquer les esprits.
Dans son discours à l’occasion
de la «Journée de la résistance et de la libération», Nasrallah a fait
un parallèle entre l’installation des Juifs dans les implantations et
l’envahissement des terres arabes syrienne et irakienne par les djihadistes. Il
a été plus loin en n’hésitant pas à considérer que la stratégie des djihadistes
est télécommandée par les américano-israéliens qui veulent installer la guerre
dans le but de diviser le monde arabe. Il en donne pour preuve leur connivence dans
les frappes militaires jugées symboliques et légères. Selon lui, la coalition
occidentale contre Daesh n’a pas pour but de l’éradiquer mais d’uniquement de le
contenir. C’est dans cet esprit que le Hezbollah justifie son intervention en
Syrie comme entrant dans son idéologie de «guerre de résistance» qui lui
impose de défendre ses alliés au-delà de ses propres frontières. Il accrédite ainsi
sa stratégie offensive face aux attaques répétées des djihadistes contre ses
forces au Liban, et justifie ainsi ses attaques préventives loin du territoire
libanais, en s’inspirant du scénario à l’israélienne.
Hezbollah
à l’initiative en Syrie
Pour exister, le Hezbollah a
totalement modifié sa stratégie en Syrie. Il n’y avait eu au début qu’un rôle
de conseiller militaire mais est devenu, à partir de 2013, partie prenante dans
les combats. Il a investi ses hommes et ses armes aux côtés de l’armée syrienne
qui entrevoyait déjà la déroute sans l’aide inespérée du Hezbollah. Les combats
de Qusayr et Qalamoun ont entièrement été menés par la milice chiite libanaise
qui bénéficiait d’un appui aérien et de l’artillerie de l’armée régulière. En
outre, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), le Hezbollah a
pris «l’initiative en menant l’armée syrienne et les forces iraniennes dans
le triangle du territoire reliant Daraa, Quneitra et les provinces du sud-ouest
de Damas.» A Homs, Alep et sur le Golan, le Hezbollah a déployé des forces
d’opérations spéciales pour aider, former, conseiller et organiser les forces
régulières syriennes et les forces paramilitaires. Il ne fait aucun doute que
l’expérience du Hezbollah acquise dans la guerre contre Israël lui a donné une
certaine aura et a, de façon significative, amélioré les capacités des troupes
syriennes.
L’intervention militaire du
Hezbollah en Syrie et en Irak a transformé une milice de résistance en armée
classique pouvant presque rivaliser avec les forces al-Qods spécialisées dans les
opérations spéciales. Le Hezbollah a dépassé son rôle de résistance aux
Israéliens et a construit une alliance stratégique entre l’Iran, le Hezbollah,
la Syrie et l’Irak, pouvant aligner des forces militaires sur des théâtres
militaires étrangers pour s’opposer à Daesh et à Israël. C’est un véritable
front militaire qui unit les troupes du Hezbollah, les Gardiens de la
révolution (IRGC), les forces armées syriennes et des milices irakiennes et qui
a décrété que tout attaque contre l’une de ses composantes est assimilée à une
attaque contre tous les membres de l’alliance.
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Mohammed Ali Jaafari |
C’est ce qui a permis à
Nasrallah d’affirmer que «la fusion du sang libanais et iranien sur le sol
syrien, reflète l’unité de la cause et l’unité du destin des pays de l’Axe de
la Résistance.» Mohammed Ali Jaafari, commandant du CGR, a fait écho à cette
déclaration en déclarant que l’attaque
de représailles du Hezbollah aux fermes de Chebaa, avait valeur de réponse
commune : «Nous sommes un avec le Hezbollah. Partout où le sang de nos
martyrs est versé sur la ligne de front, notre réponse sera unie.» Il
s’agit ainsi de la preuve de l’existence
d’un seul front commun confirmé par la déclaration de Nasrallah : «le
Hezbollah n’est plus seulement préoccupé par des règles d’engagement avec
Israël. Nous ne reconnaissons plus de séparation des arènes ou des champs de
bataille».
Nouvelles
théories militaires
Cette nouvelle stratégie a fait
basculer les théories militaires en Israël contre le Hezbollah, plaçant le
problème du nucléaire iranien en seconde priorité pour Tsahal. Contrairement à
l’Iran, l’ennemi est aux portes des frontières. L’État-major israélien a
remanié ses plans pour intégrer, dans une éventuelle guerre au nord, le risque
d’opérations militaires en Galilée avec la participation active de troupes
iraniennes. L’existence d’un front commun justifiera désormais que toute
opération individuelle contre la Syrie, le Liban ou l’Iran, sera interprétée comme une agression contre l’axe
animé par le Hezbollah.
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Benny Gantz |
A la veille de son départ, le chef
d'Etat-major Benny Gantz avait effectivement estimé que la menace du Hezbollah
au Liban est «plus dangereuse» que celle posée par la bande de Gaza :
«La menace à laquelle Israël est confronté à la frontière libanaise est bien
plus importante que celle représentée par la bande de Gaza. Mais ne veut pas
dire que je doive me rendre à Jérusalem à la hâte et demander à le feu vert
pour lancer une opération au Liban ». Il a réitéré sa position trois
jours avant de quitter l'uniforme : «Je n'ai aucun doute que nous
devrons encore agir à notre frontière nord».
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Gadi Eizenkot |
Son successeur Gadi Eizenkot
pense aussi que l'armée devrait donc s'attendre à une donne compliquée. Sous le
commandement de Benny Gantz, elle restait constamment prête à affronter tout acte
militaire au Golan et disposait pour cela d’un groupe de commandos spécialement
conçu pour cette tâche. Pour l'instant, la situation semble être plutôt calme
au Golan, bien qu’Israël doive faire face à de nouveaux groupes du djihad
mondial. Il est convaincu que le Hezbollah sera son plus grand défi parce qu’il
prend au sérieux les menaces de Nasrallah. Eizenkot va devoir préparer l'armée
à une nouvelle guerre avec le voisin du Nord. Il a dit lui-même qu'il faudrait
aussi préparer le front intérieur à une guerre balistique inattendue. Mais il
compte sur la dissuasion pour reporter la guerre.
Enfin, tant que l'Occident maintient
le dialogue avec l'Iran, Israël n'attaquera pas ce pays. Mais en cas d’échec
des négociations et si les tensions augmentent, Tsahal devra être prêt à toute
option. Tous les appareils sécuritaires israéliens sont mobilisés dans une guerre
secrète pour accéder aux informations sensibles sur le programme nucléaire
iranien. Enfin tant que le Hezbollah fait face à une menace existentielle
devant le danger Daesh, Israël pourra intensifier la préparation extrême de ses
troupes.
1 commentaire:
L'Iran et les armes nucléaires est toujours un sujet brûlant dans le monde
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