ÉLECTIONS EN
ISRAËL : LES JEUX NE SONT PAS FAITS
Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps
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Les sondages se suivent avec peu de résultats divergents, mettant parfois la gauche en tête ou en revanche le Likoud au sommet. Il faut se rendre à l’évidence que le résultat est très serré et que les outils des sondeurs ne permettent pas de chiffrer les résultats avec une erreur inférieure à 2%. Les deux forces politiques principales sont au coude à coude et aucun élément dramatique ou économique n’est venu perturber la décision première des électeurs. Il reste encore beaucoup d’indécis qui fixeront leur vote à la dernière minute. Le camp sioniste du centre gauche conduit par Isaac Herzog et Tsipi Livni et le camp de droite représenté par le Likoud de Benjamin Netanyahou avoisinent les 25 députés avec une fourchette de 24 à 27 députés dans une Knesset qui comporte 120 députés.
Les
listes ont été closes le 30 janvier (*) au soir tandis que la campagne électorale
va pouvoir débuter avec ses excès, ses esbroufes et ses incertitudes. On aurait
pu croire que l’incident grave à la frontière nord qui avait entraîné la mort
de deux soldats de Tsahal aurait pu inverser les résultats des sondages. En
effet, l’opinion a tendance à virer à droite lorsque des attentats sont
perpétrés ou lorsque la sécurité du pays est engagée. Il n’en a rien été car le
Hezbollah et Israël ont calmé le jeu en estimant que chacun avait soldé la note
soit par l’élimination de terroristes
iraniens et libanais soit par des tirs sur un véhicule léger de Tsahal.
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Ce qu'il nous faut c'est une bonne brise et une mer calme |
Il
n’y a eu aucune volonté d’aggraver la situation. Les deux parties n’ont aucun
intérêt à la poursuite des hostilités, chacun pour ses propres raisons. Le
gouvernement israélien et sa coalition ont été fragilisés par la sortie de Yaïr
Lapid et Tsipi Livni de la coalition alors que le Hezbollah n’est pas disposé à
ouvrir un troisième front après le front syrien et le font libanais contre les
miliciens de Daesh. Il faut savoir gré aux politiciens qui n’ont pas exploité
la mort de deux soldats à des fins électorales ou politiciennes.
Netanyahou
en difficulté
Benjamin
Netanyahou sent que sa situation politique est incertaine contrairement à celle
de 2013 où le résultat était pratiquement acquis. Il est abandonné par ses
principaux alliés d’hier qui veulent faire cavaliers seuls parce qu’ils savent
que leur moment est venu d’être calife à la place du calife. Il aurait bien
voulu rééditer la manœuvre efficace de 2013 lorsqu’à quelques jours du scrutin
il avait sorti de son chapeau l’alliance avec les nationalistes d’Avigdor
Lieberman afin s’assurer sa désignation comme premier ministre en tant que chef
d’un parti arrivé en tête.
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Benny Begin |
Alors il a jugé judicieux de ramener à lui les nationalistes du Likoud en attribuant à
la veille de la clôture des listes, sans passer par les primaires, une place
éligible à Benny Begin, symbole du retour aux fondamentaux du Likoud. Il a aussi tenté de convaincre son ancien bras droit et dissident du Likoud Moshé Kahlon
de fumer le calumet de la paix pour constituer une liste unique qui avait
toutes les chances de dépasser toutes les autres listes. Il avait même proposé à la célèbre journaliste du Jerusalem Post, Caroline Glick, de figurer sur sa liste à une place éligible mais elle n'a pas estimé devoir donner suite à cette proposition pourtant alléchante.
Il avait pour cela assuré
à son éventuel colistier le ministère des finances qui lui avait été refusé
en 2013 et même le poste de vice-premier ministre. Il lui a même offert neuf
places éligibles pour ses amis dans la nouvelle liste commune. Le refus de Kahlon augmente
les incertitudes du premier ministre qui se voit relégué au rang de candidat
lambda. Et pourtant Kahlon, dont les convictions dépassent l’ambition, n’est
pas assuré d’obtenir, selon les sondages, plus de huit députés.
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Moshe Kahlon |
Le
camp des sionistes religieux de Naftali Bennett péche par trop d’assurance.
Pourtant rien n’est jamais acquis et il
a dû en faire l’amère expérience. Il croyait surfer sur sa victoire éclatante
de 2013 et sur la faiblesse d’un premier ministre usé. Les sondages le
mettaient au firmament avec une sérieuse chance d’être le vrai gagnant des
élections. Mais dans l’euphorie il n’a plus contrôlé ses paroles et ses
décisions. Il a eu la maladresse de proposer une place éligible à une vedette
du football, Eli Ohana du Betar Jerusalem, pensant se donner une image populaire.
Il avait oublié que son parti, bâti sur les ruines du Parti National religieux, était un parti de militants croyants adoubé en force par les habitants nationalistes des implantations de Cisjordanie. La candidature d’un footballeur sans expérience politique le desservait et déroutait ses militants purs et durs qui comprenaient mal l’ouverture recherchée auprès des laïcs, voire des séfarades. Par ailleurs la création d'une liste à l'extrême droite lui enlève les voix des nationalistes les plus irréductibles. Le résultat s’est immédiatement fait sentir avec une baisse drastique dans les sondages à 12 députés au lieu des 16 actuels.
Il avait oublié que son parti, bâti sur les ruines du Parti National religieux, était un parti de militants croyants adoubé en force par les habitants nationalistes des implantations de Cisjordanie. La candidature d’un footballeur sans expérience politique le desservait et déroutait ses militants purs et durs qui comprenaient mal l’ouverture recherchée auprès des laïcs, voire des séfarades. Par ailleurs la création d'une liste à l'extrême droite lui enlève les voix des nationalistes les plus irréductibles. Le résultat s’est immédiatement fait sentir avec une baisse drastique dans les sondages à 12 députés au lieu des 16 actuels.
Le
centriste Yaïr Lapid ne décolle pas et il n’a aucune chance de retrouver ses 19
députés de cette dernière législature. Pourtant il avait bâti un programme sérieux avec
des candidats de talent. Mais il est tombé dans le piège que lui avait tendu
Netanyahou en acceptant le ministère des finances où il a montré peu de compétence et où il n’a pu réaliser aucune réforme majeure. Il s’est brûlé les
doigts en perdant toute crédibilité auprès de ses électeurs. Sa liste sans
grand changement, comportant le général Stern transfuge du parti de Tsipi Livni, peut
compter sur l’élection de seulement neuf députés, tout juste pour permettre à
son parti centriste de devenir un parti charnière.
Des
petits partis charnière
Le
parti d’extrême-gauche Meretz stagne à cinq ou six députés. Ses positions
considérées trop pro-palestiniennes ne lui laissent aucune chance de progresser au-delà
de ses militants inconditionnels. Mais il rêve d’entrer dans une coalition du
centre gauche espérant ainsi influer sur les questions sociales et sur le
processus de paix israélo-palestinien moribond.
Le
conflit entre les deux leaders orthodoxes séfarades du Shass, Elie Yshaï et
Arie Dhery, a fait éclater le parti avec le risque de lui porter un coup fatal puisqu’il
dégringole de 11 députés à 7. Son seul espoir reste de devenir un renfort pour une
gauche gagnante avec qui il se sent proche en raison de ses convictions
économiques. Il n’envisage pas d’entrer dans un gouvernement dirigé par la
droite qui, selon lui, a abandonné les populations défavorisées constituant le socle du
parti.
Le
grand perdant reste Avigdor Lieberman, touché par les révélations de corruption visant son parti. Empêtré dans les problèmes judiciaires de plusieurs membres d’Israël Beiteinou, il a été abandonné en masse par ses amis
historiques. Une liste rénovée, faite de candidats inconnus, ne lui permettra
pas de retrouver sa splendeur de 2013 puisqu’il passe pour l’instant de 13 à 5
députés avec le risque persistant de passer en dessous du seuil fatidique de 4
députés autorisant un parti à intégrer la Knesset.
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Candidats arabes |
Les
trois partis arabes ont le mieux assimilé la nouvelle situation en présentant
un front uni qui leur assure de passer à 11 ou 12 députés, voire plus, leur
donnant ainsi le rôle d’arbitres dans la constitution d’une nouvelle majorité. Ils risquent d'être les gagnants de cette élection. Certains israéliens jugent que ce serait un comble que les Arabes puissent décider
de l’existence ou de l’avenir d’une majorité étriquée.
Début de campagne
électorale
La
situation électorale n’est pas figée puisque les partis entrent à présent en
campagne avec l’originalité en Israël des nombreuses réunions dans les
appartements privés où le bouche à oreille reste l’élément déterminant. Les
partis terminent de peaufiner leur programme top axé sur un passé stérile et
sans une véritable vision de l’avenir parce
qu’ils n’arrivent pas à mobiliser les jeunes, souvent considérés comme des
alibis dans leurs listes. L’existence d’une nomenklatura inamovible hante
encore les esprits des électeurs.
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Stav Shaffir |
Des
exceptions existent pourtant puisque, la semaine dernière, la Knesset avait
vibré au discours de trois minutes de la jeune députée travailliste Stav
Shaffir. Avec un physique de passionaria, des convictions fortes et un cri
du cœur qui avait résonné dans
l’enceinte de la Knesset, elle avait ému son auditoire accroché au son de ses lèvres
tremblantes : «Vous avez oublié le Néguev et la Galilée pour transférer 1,2
milliards de shekels aux implantations. Vous avez oublié Israël. Vous avez
perdu le sionisme depuis un certain temps déjà». C’est cette fougue qui
manquait aux tenants du pouvoir qui ne s’appuyaient que sur des militants usés,
presque robotisés.
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Zeev Jabotinsky |
Effectivement
le parti travailliste avait perdu son sionisme pionnier et seuls des jeunes
pouvaient raviver cette flamme presque éteinte parce que selon Stav «la loi
était détournée et l’idéologie corrompue». Mais l’époque moderne n’aime
plus les idéologues qui savaient remuer les foules avec leurs certitudes au
point de réunir dans un même pays des Juifs aussi divers que le pragmatique Ben
Gourion, l’extrémiste Jabotinsky, le laïc Nordau et le religieux Kalisher dans
une œuvre commune au service d’Israël.
Religieux
et laïcs
Aujourd’hui
la dichotomie existe entre religieux et laïcs. Le sionisme est périmé parce
qu’il ne s’est pas modernisé pour se vivifier. Il a perdu le sens profond du
travail parce qu’il est devenu un mouvement pragmatique et matérialiste où
l’argent est roi. Il ne retrouve plus sa volonté messianique qui avait inventé une
patrie diverse ouverte aux Juifs du monde entier. D’un État pour les Juifs, Israël
se transforme par la volonté des nationalistes religieux en État juif. Les
nouveaux gouvernants ont échoué à trouver des solutions originales aux
questions difficiles économiques et sécuritaires parce qu’ils regardent sans
cesse, dans le rétroviseur, les échecs
du passé.
L’existence de vingt-six de
listes montre que le pays est trop divisé. S’il ne revient pas aux fondamentaux
qui ont aidé à sa création, il ira en déliquescence. On compte le nombre de sièges
de députés sans voir réellement autour de soi la misère qui gangrène des
populations soumises au matraquage de la nouvelle société égoïste qui a perdu
le sens de la solidarité. Penser à droite ou à gauche relève d’une notion
anachronique lorsque l’homme est au centre des problématiques. La religion a
pris trop d’espace dans le quotidien israélien. Si elle est indispensable pour
donner une identité majoritaire au pays et à ses habitants, elle doit rester à
l’écart de la vie politique et les dirigeants doivent éviter de croire que leur
main est guidée par la puissance céleste. La seule certitude reste que l'on ne peut pas désigner
aujourd’hui le parti gagnant.
(*) http://benillouche.blogspot.co.il/2015/01/liste-electorales-definitives.html
(*) http://benillouche.blogspot.co.il/2015/01/liste-electorales-definitives.html
4 commentaires:
Je me répète : si la gauche veut gouverner, elle devra s'allier aux partis arabes. Livni et Zoabi dans un même gouvernement, vous y croyez sérieusement?
Excellente synthèse, Jacques ... hélas, cela n'incite guère à l'optimisme !
"Les trois partis arabes ont le mieux assimilé la nouvelle situation..."
Se pourrait-il qu'en Israël aussi il puisse se jouer un scénario à la Houellebecq ?
Pourquoi les gouvernements successifs se sont-ils si peu préoccupés du Neguev et de la Galilée? Pourquoi ont-ils financé les implantations en Cisjordanie, territoires disputés ? Pour conquérir les suffrages des religieux qui ne veulent pas revenir sur les lignes du cessez le feu de 1967? Serions nous en paix aujourd'hui avec les palestiniens si on était resté en deçà ?
Les électeurs israeliens ont-ils eu tout faux en écartant du pouvoir la gauche désespérante de naïveté ?
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