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mardi 27 janvier 2015

ALYAH : ENTRE RÊVE, RÉALITÉ OU MÉTHODE COUÉ



ALYAH : ENTRE RÊVE, RÉALITÉ OU MÉTHODE COUÉ

Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps



Nathan Sharansky
L’Agence Juive chargée de l’organisation des départs des Juifs vers Israël, dirigée par l’ancien refuznik russe Nathan Sharansky, prépare un plan pour absorber 120.000 Juifs français en quatre ans, soit le quart de la population juive. Le chiffre avancé reflète une méconnaissance totale de la communauté française. C’est au mieux un vœu mais certainement une incohérence de croire que l’on peut passer de 4.000 immigrants à 30.000 immigrants par an, par un simple souhait. 





          Sharansky se croit au temps de l'URSS, ou aujourd'hui en Ukraine, lorsque les populations juives étaient martyrisées. La France n’est pas à feu et à sang; le gouvernement n’a émis aucune loi antisémite et la loi martiale n’a pas été décrétée. S’il y a une certaine inquiétude, ou plutôt un questionnement sur leur avenir, aucune panique n’est visible sur le visage impassible de ceux qui «prenaient le risque» de se déplacer dans un quartier sensible et de fréquenter les restaurants bondés du 19ème à Paris durant ce week-end. Pour eux la vie continue.

Le lait et le miel
Bennett à Paris

     Les fonctionnaires israéliens croient qu’ils seront entendus et que les Juifs français vont quitter en masse un pays qui ne les rejette pas sous prétexte que Naftali Bennett a prié dans une synagogue de Paris ou que le maire de Jérusalem a apporté sa caution morale. Manier la peur n’est pas une bonne méthode car elle peut être contre-productive. Le fait d’impliquer trois ministres, le premier ministre, le ministre des finances et le ministre de l’immigration dans le projet de ramener «à la maison» les Juifs de France n’est pas la panacée et encore moins un gage de réussite. Il manque la volonté politique. En misant sur une alyah de peur, de nécessité ou d’urgence, on commet une erreur stratégique car nombreux sont ceux qui estiment encore que «la France est le lieu où coule le lait et le miel».

     L’Agence Juive feint de confondre l’alyah noble par sionisme et par conviction avec l’alyah fiscale ou l’alyah préventive qui consiste à mettre un orteil en Israël et le reste du pied en France. Il ne faut pas se voiler la face que certains sont devenus israéliens en 2014 pour protéger leurs comptes bancaires occultes, pour s’acheter une résidence secondaire pour les vacances ou pour préparer une retraite au soleil. Ceux-là arborent avec fierté leur carte d'identité israélienne mais continuent à séjourner en France parce la vie y est plus facile, plus sociale et mieux rémunérée qu’en Israël.

     Il y a encore un grand écart entre les peurs et les craintes réelles que certains subissent et la volonté de quitter immédiatement le pays dans la hâte d’une fuite non organisée. Répéter à longueur de discours que les Français doivent venir s’installer en Israël relève de la méthode Coué plutôt que d’une volonté de leur faciliter la décision. Les mesures concrètes du gouvernement israélien doivent précéder tout appel à la fuite des Juifs français. Certes, il s’agit de décisions purement matérielles mais elles sont indispensables pour compenser souvent une absence de conviction sioniste.

Réalité implacable



     La réalité sur le terrain est implacable. La grande majorité des Français est constituée de familles modestes et ce ne sont pas les mesures ultra-libérales du gouvernement actuel qui les pousseront à faire le saut. Au contraire, ils risquent de rejoindre la cohorte des défavorisés. Il faut imposer des mesures «takhless», concrètes, pour aider à la transplantation toujours difficile. Les habitants rencontrés de Sarcelles ou du 19ème de Paris, qui frôlent la quarantaine, l’âge difficile pour changer de vie, sont unanimes à expliquer que leurs moyens ne leur permettent pas d’envisager le saut avec des revenus ne dépassant pas 1.500 euros complétés par plusieurs aides sociales. Ils paient des loyers de 400 euros grâce aux aides locatives nationales alors qu’un loyer dans une banlieue israélienne ne peut être inférieur à 800 euros (4.000 shekels).  
     Ils occupent des emplois qui ne sont pas «exportables», imposant une conversion à des métiers plus adaptés aux besoins en Israël. Pour ceux qui n’ont pas de diplômes ou un métier commercial inadapté, les seuls métiers de manutentionnaires leur permettent de gagner 1.100 euros (5.000 shekels). Ils disposent en France d’une voiture évaluée à 5.000 euros dont le montant est négligeable pour en acquérir une autre en Israël, même d’occasion au prix de 15.000 euros (70.000 shekels). La baisse de l’euro à 4,50 shekels a donné un coup de massue à ceux qui espéraient exploiter leurs économies ou vendre leur appartement pour en acheter un autre en Israël à un prix prohibitif ou à ceux qui espéraient vivre de leur retraite brutalement dévaluée de 10 à 20% en raison du taux de change parce que le gouvernement maintient un shekel fort.

Mesures radicales

Alors l’Agence Juive devra faire des efforts pour attirer les 120.000 Juifs de France. Il faut leur offrir à leur descente d’avion un logement décent avec un loyer de 430 euros (2.000 shekels) sans imposer obligatoirement un lieu de résidence dans les territoires pour satisfaire les intérêts d’une minorité active. Cela doit rester un choix même s’ils sont nombreux ceux qui vantent la qualité de vie dans les Yshouvim
Il faut totalement détaxer l’achat d’une voiture indispensable à une mobilité dans un nouvel emploi afin de disposer de prix identiques à l’Europe. Il faut détaxer les appareils ménagers indispensables à la vie de tous les jours : réfrigérateur, four, machine à laver. Il faut immédiatement reconnaître la validité des diplômes délivrés par les universités françaises dont la qualité est reconnue mondialement avec, à la rigueur, un stage de conversion de trois à six mois. Il faut dispenser par avance en France des cours gratuits intensifs d’hébreu  pour les candidats à l’Alyah pour gagner du temps sur la période d’intégration. Bref, il faut aider les candidats à un changement de vie pour leur permettre d'offrir à leurs enfants l'identité juive et la sécurité auquelles ils ont droit.

Il s’agit effectivement de mesures radicales à une volonté radicale de vider la France du quart de sa communauté juive. Nous sommes dans un rêve que les fonctionnaires israéliens sont incapables de partager parce qu’ils ne disposent pas des moyens financiers qu’un gouvernement libéral ne leur donne pas. Cessons de fustiger les autorités françaises qui ont prouvé ces temps-ci leur bonne volonté à assurer la sécurité des Juifs. 
Un symptôme de la réalité française se retrouve dans les paroles de la compagne de Philippe Braham, l'un des quatre otages tués porte de Vincennes à Paris, à la télévision. Face à l'antisémitisme, Valérie Braham se décrit comme «angoissée, stressée», particulièrement pour ses enfants. Elle n'est pas pour autant prête à quitter la France: «je ne veux pas fuir, mon mari est mort ici, je reste», assure-t-elle.
L’alyah est un choix personnel.


10 commentaires:

  1. Cher monsieur Benillouche,

    Je vous remercie au nom de la France pour cet article d'une grande lucidité. Car si on peut reprocher au gouvernement de ne pas avoir su protéger les Juifs dans les attentats des 7 et 9 janvier, il faut dire aussi qu'il n'a su protéger non plus, ni les caricaturistes et journalistes de Charlie Hebdo, ni les policiers, ni cet employé qui se trouvait là par hasard.
    Cet appel pour vider la France de ses Juifs sera bien sûr vain, n'en doutez pas, mais la France devrait montrer une volonté sans faille pour lutter contre ses extrémistes djihadistes, et le moins qu'on puisse dire, aujourd'hui, c'est que le compte n'y est pas.

    Très cordialement.

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  2. Votre exposé économique de base est empli de bon sens. Le réalisme prévaut.
    Le gouvernement Israélien doit faire des efforts nettement plus significatifs pour permettre une absorption des juifs de France qui veulent vraiment venir considérant-à juste titre- ne plus voir d'avenir pour leurs enfants.
    Il est à craindre que les conditions économiques ne s'aggravent en France avec la conjugaison d'une baisse de l'Euro encore plus dure plaçant les juifs dans une situation impossible, pris dans un piège financier qui semble inévitable.
    Mais qui sait ce qui peut se produire en cas d'attentats plus meurtriers à un rythme plus soutenu ou de crise économique aggravée en France?
    Pour certains la question se posera :"la vie de ses enfants pèse t'elle moins qu'une altération de ses moyens d'existence?
    Dilemne délicat lorsqu'on imagine que c'est sur l"AUTRE' que s'abbattra le sort tragique.
    La sagesse pour ceux en situation difficile entre deux âges est d'envoyer leurs enfants faire leurs études en Israel ou les pousser à partir lorsqu'ils ont fini leur cursus universitaire.
    La lecture de votre article me rappelle une histoire :
    Un Rabbin est assis dans un avion EL AL a cote d'un delegue de l'Agence Juive. S'engage la conversation classique sur l'Alyah.
    Le délégué : monsieur le Rabbin, entre nous et trés franchement, ne pensez-vous pas qu'il était préférable, que les Juifs aprés guerre soient restés en France ou soient partis au Canada ou aux Etats-Unis plutot que d'aller en Israel?
    Voyez d'ailleurs le résultat ;Ceux là ont de brillantes situations en général, ;^avocats ,médecins, chefs d'entreprise alors que ceux qui sont allés directement en Israel ne s'en sortent pas, bcp sont meprisés ,notamment ceux d'Afrique du Nord surnommés péjorativement "marocco sakine".
    -Le rabbin lui répond :
    -C'est vrai, vous avez raison à première vue.
    Mais dans l'avenir les enfants de ces avovats ,médecins et chefs d'entreprises qui sont restés en France ou ailleurs vont voir leur situation se dégrader alors que ceux qui auront fait l'effort de venir verront au contraire leurs enfants s'enrichir en étant plus forts.
    Vous confondez, monsieur le délégué, les douleurs invisibles de l'agonie et les douleurs des cris de la naissance."
    A méditer...

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  3. Véronique ALLOUCHE26 janvier 2015 à 14:49

    Bonjour Jacques,
    Tout a fait d'accord avec cet article mis à part que le shekel fort est dû à la dévaluation de l'euro pour relancer l'économie européenne par le biais de la décision de la BCE d'utiliser " la planche à billets". Dans ces conditions il est normal que l'euro baisse par rapport au shekel.
    Concernant les comptes bancaires "occultes", ils ne sont plus d'actualité, ni en Israël ni ailleurs. Lorsque des capitaux entrent en Israël, il faut déclarer obligatoirement leurs provenances.
    Je te rejoins sur le fait que les diplômes français doivent impérativement être reconnus en Israël si l'on veut espérer le début d'une alyah conséquente en Israël.

    Ceci dit, comme toi je ne crois pas du tout à une alliah massive pour les juifs de France tant que les gouvernants auront la volonté de les protéger , ce qui pour l'instant semble être le cas. Le discours de Manuel Valls à l'assemblée en témoigne.
    Bien cordialement.
    Véronique Allouche

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  4. Daphna Poznanski-Benhamou26 janvier 2015 à 15:22

    Bravo d'avoir écrit ce que beaucoup de Français d'Israël pensent. Comme l'a déclaré le Président israélien Réouven Rivlin, "non à une aliya de panique, de peur et de désespoir". Une aliya, c'est une aventure humaine, souvent un projet familial, et toujours un espoir.Veillons à exprimer la réalité israélienne telle qu'elle est, telle que nous savons qu'elle est, afin de parer à une aliya irréfléchie de fuite qui se briserait sur la vraie vie en Israël. Privilégions l'aliya de conviction porteuse d'espoir. Il y aura ainsi moins de "yordim", ceux qui retournent.

    Cordialement,

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  5. Excellente analyse, tres realiste.
    On vient en Israel le coeur plein d'amour pour tout ce qui a trait au Peuple Juif , et non avec la peur pour seul moteur..

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  6. @ Véronique ALLOUCHE

    Qu'importent, Madame, les beaux discours de Valls tant que madame Taubira est Garde des sceaux ?

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  7. Véronique ALLOUCHE26 janvier 2015 à 23:30

    À l'attention de Marianne Arnaud:
    Certes madame, je partage votre point de vue, mais plus prosaïquement, madame Taubira a-t-elle les moyens budgétaires d'une politique plus répressive?

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  8. @ Véronique ALLOUCHE

    Qui veut la fin, prend les moyens. Ne nous voilons pas la face : madame Taubira est une militante indépendantiste guyanaise qui, par idéologie et non par manque de moyens, s'oppose à toute loi spécifique pour lutter contre le djihadisme.

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  9. Yigal DAWIDOWICZ31 janvier 2015 à 23:10

    Je suis en contact avec de nombreux français qui s'interrogent. Je leur tient le discours de Jacques Bennilouche. Il n'y a pas de politique d'intégration en Israel parce qu'il n'y pas de politique sociale pour les israéliens. Il faut se préparer à beucoup de deception et dédésillusion chez les olims de France. Moi, j'ai le devoir de vérité. Je l'ai toujours eu et les professionnels de la politique m'en ont toujours voulu pour ça mais c'est mon choix et je l'assume. Merci Elisabeth d'oser toujours montrer du doigt là où ça fait mal. De Rabelais et Molière jusqu'à Charlie Hebdo c'est la belle tradition française toujours fièrement revendiquée à retardement par les mêmes hypocrites qui la condamnent au présent.

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