LE FOSSÉ SE CREUSE
ENTRE LA TURQUIE ET LES ÉTATS-UNIS
Par Jacques
BENILLOUCHE
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Les troupes turques face au drapeau de l'EI |
La réticence de la Turquie à
participer aux frappes contre l’État islamique peut à moyen terme se retourner
contre Tayiip Erdogan. À la frontière avec la Syrie, le contraste est flagrant.
Deux mondes se côtoient de chaque côté des barbelés qui matérialisent la
frontière. D'un côté les frappes
aériennes génèrent d’épais nuages de fumée tandis que résonne le bruit des
échanges de feu entre les djihadistes de l’E.I et les Kurdes enfermés dans
Kobane. De l’autre côté, un spectacle plus paisible de soldats turcs passifs au
pied de leurs chars et de leurs véhicules blindés qui se contentent d’observer le
spectacle et usent souvent de gaz lacrymogènes pour repousser les Kurdes d’origine
turque venus prêter main forte à leurs frères syriens en essayant de traverser
la frontière. Pour Erdogan, Kobane doit tomber.
Kurdes syriens dans l'attente derrière les barrières et les frontières pour traverser en Turquie près de la ville sud-est de la province de Sanliurfa Suruc |
Velléités d’indépendance
La Turquie ne voit que ses
intérêts immédiats puisqu’elle laisse se perpétrer les massacres pourvu
que ses Kurdes n’aient pas de velléités d’indépendance. Cette attitude passive
face à la probable chute de Kobane ne plait pas du tout aux Américains qui escomptaient
une aide concrète de la part de leurs alliés turcs. Elle exacerbe les tensions
entre le gouvernement d’Ankara et sa minorité turque qui ne comprend pas que
les États-Unis ne réagissent pas fermement alors que les Turcs sont toujours
censés faire partie de l’alliance de l’Otan.
En fait Erdogan trouve le
prétexte d’exiger des Kurdes de Syrie qu’ils rompent tout lien avec le régime
de Bachar Al-Assad, son ennemi irréductible. Il leur conseille au contraire de
rejoindre la rébellion syrienne dont la tâche est de renverser le régime
syrien.
Pourtant des négociations secrètes ont eu lieu au début d’octobre en
Turquie entre les chefs kurdes syriens de l’YPG et des diplomates turcs sous l’égide
des services de renseignements. L’YPG, en kurde Yekineyen Parastina Gel ou Unités
de protection du peuple kurde, est la milice kurde dont les combattants
résistent à Kobane pour empêcher leur ville de tomber aux mains des djihadistes.
Il s’agit du bras armé du plus puissant parti politique
kurde, le Parti de l’Union démocratique (PYD) dont l’existence a été rendue
publique officiellement en juillet 2012 avec son logo. L’annonce
de sa création avait coïncidé avec le retrait
des troupes gouvernementales syriennes des régions à majorité kurde en Syrie ce
qui fait que l’YPG est devenu de fait l’armée kurde en Syrie.
PYD, YPG et PKK
Le PYD et l’YPG sont liés au PKK (Parti des travailleurs
du Kurdistan) qui mène depuis 1984 une lutte armée en Turquie pour le droit à l’indépendance
ou au minimum à l’auto-détermination. La majorité des commandants de haut niveau de l’YPG ont
été entraînés dans des camps du PKK du nord de l’Irak, dans les monts Qandil plus précisément, permettant ainsi d’affirmer
que l’YPG est la branche armée du PKK en Syrie. Cela explique les réticences d’Erdogan
qui refuse toute relation avec l’YPG qui milite en faveur de l’autonomie kurde
en Turquie. En fait la stratégie des
Kurdes était claire ; l’alliance avec le régime d’Assad permet à l’armée syrienne de se battre sur d’autres
fronts que le front kurde.
Combattantes kurdes |
On évalue à 30.000 combattants
kurdes, hommes et femmes, qui résistent à Kobane alors que des familles
entières défendent leur ville les armes à la main face aux djihadistes. Ils ne disposent
que d’armes légères face aux armes lourdes que l’E.I a récupérées dans les
bases militaires de Syrie et d’Irak. C’est pourquoi, lors de la réunion secrète
en Turquie, le principe de transférer des armes en provenance des enclaves
kurdes à travers la Turquie pour être livrées aux troupes kurdes assiégées en
Syrie avait été acquis. Mais Erdogan a finalement refusé cette transaction et a
même informé les États-Unis qu’il ne participerait à aucune frappe pour la
défense de Kobane tant que l’objectif de cibler Assad n’était pas
officiellement agréé.
Les Américains trouvent anormales
ces considérations de politique intérieure alors que le feu djihadiste s’étend
dans toute la région. Erdogan justifie sa position par le comportement des
jeunes Kurdes. En effet le 7 octobre ils ont manifesté violemment
contre la passivité de la Turquie en mettant le feu à des véhicules, en pillant
des magasins et en lançant des cocktails Molotov contre les policiers dans les
villes à majorité kurde de Diyarbakir, Batman, Bingöl et Van.
La réaction
turque a été violente puisque des chars et des véhicules blindés ont été déployés
dans ces villes en entraînant la mort de 20 manifestants. Erdogan compte ainsi
sur les djihadistes pour éradiquer la menace kurde chez lui. Le
processus de paix avec les Kurdes
est en train de s'écrouler ouvrant ainsi des perspectives de troubles en
Turquie qui n’en a pas besoin au moment où la situation économique se tend et
où les touristes désertent les plages.
Presse syrienne déchaînée
S'étant
entretenus à plusieurs reprises ces derniers jours sur la stratégie militaire,
les responsables des pays de la coalition ont appelé la Turquie à s'impliquer
davantage, notamment en permettant l'utilisation de ses bases militaires, plus
proches des lieux de frappes, notamment en Syrie. Le Premier ministre turc
Ahmet Davutoglu a rejeté l'appel de la France à ouvrir plus largement le
passage à la frontière avec le nord de la Syrie. Il a insisté sur le fait que
seuls les Syriens étaient autorisés à «repartir pour rejoindre la lutte»
pour Kobané : «Nous ne laissons pas les citoyens turcs entrer en Syrie
parce que nous ne voulons pas qu'ils prennent part au conflit syrien ».
Avion turc |
La
situation se tend avec les États-Unis puisque la Turquie a interdit aux
Américains d’utiliser leur base aérienne d'Incirlik pour frapper les
djihadistes de l'État islamique. En revanche, dans le même temps l'armée de
l'air turque continue à bombarder des cibles kurdes. D’ailleurs
les Américains n’ont pas tardé à infliger un camouflet à la Turquie à l’ONU. Après
un vote sans appel, l’Espagne a été élue le 16 octobre membre non permanent du
Conseil de sécurité de l’ONU en devançant largement la Turquie qui n’a
recueilli que 60 suffrages, contre 132 à Madrid.
Cependant le président Tayiip Erdogan voit sa position confortée face
à la presse syrienne déchaînée contre lui qui l'accuse d'avoir perdu la tête :
«L'aventurier Erdogan prétend que son but est de tuer les djihadistes de
Daesh alors que les faits prouvent qu'il est de la même trempe terroriste que
les adorateurs du couperet » en faisant allusion aux décapitations
pratiquées par l'E.I. En effet La Turquie a posé comme condition à sa
participation à la coalition internationale la mise en place d'une «zone-tampon»
et d'une zone d'exclusion aérienne dans le nord de la Syrie pour accueillir les
réfugiés et protéger les secteurs du territoire syrien encore tenus par
l'opposition modérée. Ces exigences n’entrent pas pour le moment dans la
stratégie américaine car l’urgence est de stopper la progression des
djihadistes sur tous les fronts.
Une victoire de Daesh ne représente que des avantages pour Erdogan : Les Kurdes n'auront pas d’état et Bachar sera chassé. Seul un débile politique pourrait lui proposer de permettre le contraire.
RépondreSupprimerSes ambitions mégalomanes de rebâtir la tutelle de l'empire ottoman sur les bases de la charia reste dans ses perspectives, conformément aux objectifs du parti Islamiste sur lequel il s'était appuyé pour se faire élire.
Son concept de la démocratie est que les minorités n'ont aucun droit puisque c'est la majorité qui commande. Il se sert de Barak et de l'Otan pour se protéger de Poutine qui, lui, protège Bachar. Sans ce bouclier, Poutine lui aurait déjà réglé son compte.
Or, Bachar, qui connait le sort réservé aux minorités au moyen orient, n'a d'autre options que de protéger sa communauté Alaouite des menaces de génocide et d'utiliser tous les moyens dont il dispose. Personne, dans les pays occidentaux, n'a le courage de reconnaître que Bachar avait raison lorsqu'il affirmait que son pays subissait des attaques fomentées depuis l'étranger et qu'il ne s'agissait pas que d'un mouvement de révolte sociale.
Si les Chrétiens d'Irak disposaient des moyens militaires de Bachar : ils auraient utilisé toutes les armes permises ou défendues pour éviter de se faire décapiter en masse ou que leurs filles et épouses soient vendues: car, c'est le sort promis aux Alaouites. Il n'y avait personne pour protéger les Chrétiens d'Irak, je ne vois pas qui pourrait se porter volontaire pour empêcher que 2,5 millions d'Alaouites ne soient génocidés.
L'opinion reste sur sa certitude que Bachar est le diable, et, ces imbéciles qui, comme tous les imbéciles, s'interdisent de changer d'avis, s’entêtent dans leur jugement à l'emporte-pièce et n'ont pas le courage de ré-évaluer la situation.
Dans la situation actuelle,Assad est l'un des seuls, avec les Kurdes, capables de mener la lutte contre Daesh sur le terrain. Sa disparition n'est plus aujourd'hui une necessite; elle pourrait meme conduire a un demembrement de la Syrie et au renforcement des forces terroristes, comme en Irak et en Libye.
RépondreSupprimerIsrael n'a pour sa part aucun interet a la liquidation du regime Assad et doit le faire savoir.