RADICALISATION
DE L’OPINION EN ISRAËL
Par Jacques
BENILLOUCHE
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Comme s’il y avait une relation de cause à effet avec la situation politique en France, l’extrême-droite est en tête des sondages en Israël. La radicalisation des esprits est flagrante depuis l'opération "bordure protectrice" de Gaza. La guerre a été l’une des plus longues qu’a connue le pays, 50 jours, coûtant aux pays un grand nombre de victimes militaires, 66 officiers et soldats, le plus important depuis la guerre du Liban avec ses 119 morts. La radicalisation de l’opinion est consécutive à la stratégie utilisée par Tsahal, sous les ordres du pouvoir politique, qui a été considérée comme timorée face aux réels enjeux militaires.
Guerre mal terminée
Contrairement
aux autres opérations similaires, la guerre avec Gaza a été déclenchée sans la
surprise qui a toujours été l’Adn de l’armée israélienne. Le gouvernement a été
accusé de vouloir à tout prix ménager les dirigeants du Hamas en usant de
menaces plutôt que de mesures radicales ; cela a été perçu comme un aveu
de faiblesse qui a encouragé le Hamas à plus d’intransigeance dans
l’acceptation du cessez-le-feu. L’opinion israélienne est convaincue que l’armée
a été bridée par le pouvoir politique qui n’a pas permis l’éradication du Hamas,
le réel objectif de l’opération «bordure
de protection».
Les
deux partis nationalistes, laïc d’Avigdor Lieberman, et sioniste religieux de
Naftali Bennett, membres de la coalition au pouvoir, s’opposent ouvertement au
premier ministre qui joue la carte des pays arabes modérés : la Jordanie,
l’Arabie saoudite et l’Égypte. Ces trois pays ont en effet été silencieux durant
la guerre de Gaza et n’ont pas affiché de soutien franc aux Palestiniens.
Netanyahou n’a rien entrepris sur le plan diplomatique et militaire sans en
référer au préalable à ses trois alliés de circonstance parce qu’il n’a pas
voulu gâcher les liens noués avec ces pays arabes, dits «modérés», qui ont trouvé le plus petit dénominateur commun qui les
unissait à Israël, après avoir écarté de leurs priorités le litigieux et
insoluble conflit israélo-palestinien.
Initiative
nationaliste
Pour
essayer de reprendre l’initiative politique sur ses concurrents, Netanyahou n’a
pas trouvé d’autre solution que de donner satisfaction à son aile nationaliste
en faisant du suivisme sur le problème des implantations en Cisjordanie. Il a
décidé de manière inattendue de nationaliser 400 hectares de terres de
Cisjordanie, au sud-ouest de Bethléem, certes constituées de collines vierges, pour
étendre à 1.000 hectares l’implantation de Gvaot. Il s’agit du plus grand
espace annexé depuis des dizaines d’années. Il est vrai qu’il se situe à
l’intérieur du mur de sécurité bâti pour séparer Israël de la Cisjordanie et
qui est considéré par de nombreux politiques comme une frontière éventuelle
avec le nouvel État palestinien.
Le
moment était mal choisi pour ternir l’image d’Israël sur le plan international.
L’État juif avait acquis un capital de sympathie après les tirs, depuis Gaza,
de milliers de missiles sur les villes du sud. Cet instant est d’autant plus
mal choisi que des échéances politiques sont planifiées pour régler définitivement les conséquences de
la guerre de Gaza. Le cessez-le-feu n’a été accepté que pour une période de un mois
et il risque d’être rompu si des avancées politiques notables ne sont pas constatées.
Davidi Perl |
Malgré
une politique fondée sur l’acceptation des exigences nationalistes, le
gouvernement ne peut freiner la fuite de militants et de dirigeants de la
droite traditionnelle, attirés par la dialectique nationaliste. L’opinion
israélienne se radicalise. D’ailleurs l’ingratitude n’a pas de limite puisque
Davidi Perl, maire israélien de toute la région du Gush Etsion, incluant Gvaot,
n’est pas suffisamment satisfait du cadeau de 400 hectares du premier ministre
et a décidé de quitter son parti, le Likoud, pour rejoindre le «foyer juif» de Naftali Bennett, la
jeune étoile montante de l’extrême-droite, le seul à pouvoir devenir calife à
la place du calife. Il a pris la croisade contre le gouvernement accusé de «servilité» vis-à-vis des Occidentaux au
détriment des habitants des implantations. Un sondage du 2 septembre place
Bennett à la tête du clan de la droite au moment où Netanyahou s’écroule dans
les sondages après ses 82% du début de la guerre.
Travail inachevé
L’impression
de travail inachevé de l’armée est martelée par des opposants faisant partie pourtant
de la coalition et même du Cabinet de sécurité chargé des décisions extrêmes. La
guerre s’est en effet terminée dans le flou, sans gagnant ni perdant
précisément établi. Même les fidèles du premier ministre, tel le ministre de
l’intérieur, Guidéon Saar, ont dénoncé l’accord de cessez-le-feu qui prévoit un
assouplissement du blocus de Gaza avec le risque de voir renaître les
terroristes du Hamas. Netanyahou a donc besoin de soigner sa base à droite en lui offrant l’expansion des implantations. Pour apaiser la colère des nationalistes, il a
choisi le symbole d’une région où résidaient les trois jeunes adolescents
assassinés à l'origine de la reprise de la guerre de Gaza.
Netanyahou
se trouve donc face au dilemme de s’aliéner les États-Unis et l’Europe et de
rendre plus difficile la tâche de Mahmoud Abbas qui avait pourtant réussi à
marginaliser le Hamas durant les négociations du Caire. Cette décision
brutale pourrait retarder la reprise des pourparlers de paix et relancer les
hostilités. Les discussions étaient de toute façon compromises dès lors où
Israël refusait de négocier directement avec
le Hamas.
Abbas avec la Ligue Arabe |
Le président Abbas fait pourtant des efforts pour ramener à la raison un
Hamas exigeant. Il l’a menacé de cesser toute collaboration avec lui dans le
gouvernement d’union s’il continuait à bloquer les institutions. En arrivant au
Caire pour une visite de travail avec les ministres des affaires étrangères de
la Ligue Arabe, Mahmoud Abbas s’est élevé contre son partenaire : «Nous ne pouvons pas continuer à travailler
avec le Hamas de cette façon. 27 sous-secrétaires des ministères sont en
fonction dans la bande de Gaza mais le gouvernement d'unité nationale ne peut
rien faire sur le terrain».
Frictions entre les
clans palestiniens
Abbas et Mechaal au Qatar |
En effet le Hamas avait théoriquement accepté de remettre ses pouvoirs à l’Autorité palestinienne mais, dans la réalité, il continue à gérer seul Gaza avec une main de fer. Khaled Mechaal, le chef du bureau politique, dirige depuis son exil doré au Qatar, la politique appliquée à Gaza, opposée totalement au gouvernement de réconciliation nationale. Il ne semble pas s’inquiéter de la situation humanitaire qui prévaut à la suite des destructions causées par Tsahal. Seul son intérêt politique prévaut ainsi que celui du Qatar toujours prêt à contredire son concurrent égyptien. Selon Mahmoud Abbas «la direction palestinienne est en train de faire tout ce qu'elle peut pour alléger les souffrances du peuple palestinien dans la bande de Gaza».
Yitzhak Herzog |
La gauche travailliste israélienne tente de reprendre langue avec les
Palestiniens après avoir soutenu le gouvernement durant la guerre de Gaza. Le
chef de l’opposition, Yitzhak Herzog pense qu’il y a une «opportunité historique» pour travailler avec Mahmoud Abbas afin
d’isoler le Hamas et de parvenir à un accord permanent : «Netanyahou n'est tout simplement pas
intéressé à parvenir à un règlement diplomatique et préfère laisser Israël
isolé».
En prenant des mesures unilatérales d’expansion des implantations en
Cisjordanie, le gouvernement israélien complique la situation et rend
impossible toute collaboration avec l’Autorité qui risque elle-aussi d’être
débordée par ses éléments nationalistes irréductibles. Dans ces conditions, le
cessez-le-feu reste fragile et les combats pourraient reprendre, après un mois
de répit durant lequel l’aile militaire du Hamas se réorganise et, selon
certaines informations sécuritaires, reprend la construction de tunnels. La
paix reste donc illusoire.
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