PAYS ARABES : GÉRONTOCRATIE ET DÉMOCRATIE
Par
Jacques BENILLOUCHE
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Bouteflika vote en chaise roulante |
L’épisode des élections
en Algérie démontre que les pays arabes ne veulent pas assimiler les principes
de la démocratie et que les régimes forts, voire dictatoriaux, sont les seuls
capables d’insuffler une certaine stabilité. Les printemps arabes n’ont
pas répondu aux attentes des peuples et ont déçu, d’abord parce que les
populations n’étaient pas prêtes à jouer le jeu de la démocratie à
l’occidentale et parce que la religion de l’islam reste par dogmatisme un frein
à toute expression libre de la voix populaire.
La seule réponse à ces
révolutions a été la restauration d’une dictature acceptée parce qu’elle
n’engendrait ni désordre et ni chaos et qu’elle était une protection contre un
islamisme intégriste envahissant. C’est ainsi que les Algériens
ont été anesthésiés et qu’ils ont accepté, ce qui est la règle dans les autres
pays arabes, le principe d’une gérontocratie active qui met à l’écart la fine
fleur de la population.
Printemps arabes
stériles
Printemps arabe en Tunisie |
Les printemps arabes ont été stériles et ont été
l’occasion de tremblements de terre politiques en Égypte, en Syrie, en Libye au
Yémen et au Bahreïn qui auraient pu se passer de cette parenthèse démocratique
sans lendemain. Seule la Tunisie s’en est sortie mieux que les autres pays car
Bourguiba avait réussi à insuffler au pays une démocratie surveillée grâce au
développement de l’éducation, à l’ouverture au monde occidental et à
l’émancipation des femmes tunisiennes. Certains en sont à regretter l’avènement
d’un espoir déçu qui a souvent engendré chaos et déception, montrant aussi le
vrai visage de l’Occident qui a trahi ses alliés en s’alignant en Égypte sur les Frères musulmans contre
Hosni Moubarak. Cela en dit long sur la réalité du soutien que certains pays peuvent
attendre des grands pays occidentaux qui se disent leurs amis.
Miliciens de Kabylie |
Mais la réalité tend à
démontrer en fait que la culture arabe n’est pas adaptée à la démocratie
moderne car elle est à l’origine de l’avènement de régimes corrompus,
répressifs et vieillis. L’élection à 81% de Bouteflika est le symbole d’une
fausse démocratie qui n’en a que le nom. Il est vrai que les Algériens ont
beaucoup souffert de la guerre civile,
déclenchée après le refus de la victoire des islamistes aux élections de
1991, qui a fait près de 200.000 morts et qu’ils sont las des querelles
internes. C'est pourquoi le candidat de l’armée, Abdelaziz Bouteflika, a réussi à
maintenir une paix précaire qui a d’ailleurs permis d’éviter l’avènement d’un
printemps arabe en Algérie.
Le gaz en Algérie - la Sonatrach |
Fort de la réussite de
la pacification du pays, le président a écarté tout successeur putatif. Malade
et sur une chaise roulante, il est resté le seul candidat de consensus. Certes le
terrorisme a été éradiqué mais il a échoué dans tous les domaines économiques
en ne réussissant pas à élever son pays au rang de puissance économique mondiale.
L’Algérie déborde de gaz et de pétrole mais, en raison de la corruption, le
désordre d’une économie chancelante n’arrive pas à offrir des emplois à ses
jeunes attirés par l’illusion d’une réussite au-delà de la Méditerranée. L'Algérie n'a pu enrayer le déclin de sa production de pétrole et de gaz. Avec 45 milliards de m3 de production en 2013, elle est loin des 65 milliards de 2005. Alors,
l’élection de Bouteflika est devenue une fatalité à laquelle les Algériens
n’ont pas pu échapper malgré ses 77 ans et sa maladie.
Conservatisme
anachronique
Le roi Abdallah d'Arabie saoudite |
Pour se maintenir au
pouvoir, les pays arabes tiennent à maintenir un conservatisme anachronique par
le biais d’une gérontocratie qui donne l’illusion d’une stabilité. Le roi
Abdallah d’Arabie, 89 ans, vient de nommer son demi-frère âgé de 69 ans en
deuxième ligne pour l’accession au trône derrière le prince héritier Salman son
aîné de 78 ans. C’est ainsi dans pratiquement tous les 22 pays de la Ligue
Arabe, où la jeunesse est exclue de la gestion du pays. En fait dans ces pays comme
en Algérie, l’armée est responsable de cette situation de fait qui laisse les
jeunes au bord de la route. C’est ainsi que le chef de la sécurité algérienne Mohamed
Médiène alias Toufik, 75 ans, l'homme de l'ombre qui se cache, se prépare à la succession, tandis que ses amis généraux dirigent le pays en sous-main.
Mohamed Médienne |
C’est une constante
dans les pays arabes où les militaires gardent la main sur les affaires de l’État
tout en maintenant un régime corrompu qui les sert. Ils ont d'ailleurs vite repris le
pouvoir en Égypte après avoir donné l’illusion qu’ils s’en séparaient au profit des
Frères musulmans. Il est difficile d’expliquer pourquoi les Arabes acceptent de
vivre sous le joug de dirigeants qui les asservissent en maintenant une chape
de plomb pour éviter l’explosion. Selon Al-Watan : «C'est juste une
question de rideau descendant sur un
drame politique de mauvais goût». La jeunesse est écœurée en Algérie mais
résignée car Bouteflika a modifié la Constitution pour pouvoir régner plus
longtemps. Il a verrouillé le pouvoir en mettant ses proches au sommet des grandes
institutions : le président du Conseil constitutionnel, le président de la
commission des élections, le ministre de l’intérieur et celui de la justice.
Manifestation à Ghardaïa |
Mais malgré les
risques, la population ne reste pas inerte. 5.000 manifestants à Ghardaïa, aux
portes du Sahara, ont exprimé leur opposition à Bouteflika. Le mouvement «Barakat»
(ça suffit) a exprimé à la faculté centrale d’Alger son rejet du processus
électoral «fictif» qui sous couvert de stabilité n’améliore pas la
situation économique de la population. La corruption a même atteint le frère du
président, Saïd Bouteflika, et son clan qui mettent en coupe réglée le pays au
point où l’Algérie n’arrive pas à équilibrer son budget fondé sur 97% des
revenus pétroliers.
Les militaires au
pouvoir
En fait les militaires contrôlent la politique en
Algérie, une sorte de déjà vu comme en Égypte. Il est vrai que l’ANP (l’Armée
Nationale populaire) gouverne le pays depuis l’indépendance et fait la pluie et
le beau temps. Elle avait choisi Ahmed Ben Bella en 1962 pour le renverser
trois ans plus tard au profit du colonel Houari Boumediene. En 1979, elle avait écarté Bouteflika pour
placer à la tête de l’État le colonel Chadli Bendjedid. À la suite de la victoire des islamistes du
FIS en 1992, les militaires ont confié le pouvoir à Mohamed Boudiaf pour
imposer deux ans plus tard le général Liamine Zeroual comme chef de l’État. Enfin
après s’être opposée à lui pendant vingt ans, l’armée a désigné en 1999
Bouteflika.
Mohamed Tahar Yaala |
Mais malgré sa
réélection triomphale en 2014, l’armée n’a pas digéré ce quatrième mandat et reste susceptible d’organiser un coup d’État
sous la conduite du général à la retraite Mohamed Tahar Yaala, l’ancien
commandant en chef des forces navales. Selon le général
Mustapha Antar, ancien directeur de l’Hôpital central de l’armée à Alger, «Les dernières images de Bouteflika prouvent
qu’il est gravement malade. La situation en Algérie est extrêmement dangereuse
et l’armée ne doit pas aider un clan mû par des intérêts personnels, car
l’Algérie doit être au-dessus de tout. Et en l’absence d’une vraie opposition,
il n’y a que l’armée qui peut s’apposer à ce clan».
Bouteflika avait senti le danger de
la pression des militaires et il a agi durant ses mandats
pour réduire l’influence de l’armée. Mais malgré son habileté politique, il n’a
pas réussi à marginaliser une armée qui garde son statut de rouage essentiel du
système qui gouverne l’Algérie depuis plus d’un demi-siècle. Il n’a pas pu
effacer la bonne image de l’armée auprès de l’opinion qui la considère comme la plus solide des
institutions de la République.
Des
cheikhs et chefs de tribus
C’est
la même situation qui domine dans les États du Golfe et ils se réunissent
périodiquement pour s’assurer qu’aucun des pays du CCG ne portera atteinte aux
intérêts, à la sécurité et à la stabilité de l’autre. Ils se neutralisent mutuellement. Ils se sont réunis le 17
avril afin de s’assurer qu’ils continuent à se protéger en faisant
en sorte qu’il n’y ait pas d’ingérence dans leurs affaires internes. Les tensions dues à l’avènement des
Frères musulmans révolutionnaires se sont apaisées dès lors où ces derniers ont
été exclus du pouvoir. L'activisme de cet islam politique pouvait saper leur autorité et grignoter leurs privilèges féodaux.
Réunion de la CCG du 14 avril |
Mais tout est
rentré dans l’ordre le jour où Mohamed Morsi a été renversé par l’armée. Cependant, on se
demande pourquoi ces gouvernements prédominés par des vieillards, des cheikhs ou des chefs de tribus, se sont réunis si ce n'est pas pour étaler leurs divergences sur l’Irak qui
a été annexé par l’Iran, sur la Syrie qui se désintègre, sur la guerre entre
chiites et sunnites et sur le conflit communautaire au Bahreïn. Dès lors où la
guerre civile ne les a pas atteints, que le terrorisme islamiste est resté en
dehors de leurs frontières et que ces potentats vieillissants s’accrochent à
faire perdurer chez eux le règne de la gérontocratie, alors le danger d’être
contaminés par la démocratie reste loin.
Ils affichent leur ridicule en public face aux caméras
indiscrètes du monde entier pour faire croire à une unité arabe solide. Ils
ne se rendent pas compte que les crises successives désintègrent
progressivement la stabilité de leurs potentats. Bien sûr ils n’ont pas oublié dans leur résolution le passage obligé sur les Palestiniens pour la «préservation de leurs
droits» mais ils n’ont versé aucune larme sur les souffrances du peuple syrien car ils sont trop heureux que le conflit ne s’importe pas chez eux.
Le dernier exemple de l’Algérie
démontre que le modernisme n’a pas touché les institutions des pays arabes qui
restent ancrés dans la dictature. Mais la faute revient en partie aux Occidentaux qui ont besoin des dictateurs parce qu'ils s’opposent avec violence au réveil
démocratique, garantissent leurs approvisionnements en hydrocarbures à des
coûts compétitifs tout en sauvegardant leurs intérêts économiques et en
combattant les terroristes.
Mais ce double jeu joue contre l’apprentissage de
la démocratie dans les pays arabes qui ne sont pas cependant à l'abri d'actes
terroristes sous l’effet de l’oppression des dictateurs à l’encontre de leur
peuple. Or ils doivent mobiliser le peuple pour qu'il devienne un acteur du changement s'ils veulent que la transition démocratique se fasse en douceur. Mais cela n'en prend pas le chemin.
Cher monsieur Benillouche,
RépondreSupprimerCet article est assez désespérant, mais peut-on parler de "réélection triomphale" lorsque l'on sait que le taux d'abstention est officiellement de presque 50%, et que les partisans du Front du boycott affirment que "le taux de participation ne dépasse pas les 10%". Le taux officiel étant le résultat de la fraude.
Cependant, le pouvoir, qui a incontestablement joué sur les peurs, "sait pourtant que l'heure de vérité approche", ainsi que l'écrit Thierry Oberlé du Figaro.
Très cordialement.