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mardi 11 février 2014

ERDOGAN AU PIED DU MUR COMPTE SUR ISRAËL


ERDOGAN AU PIED DU MUR COMPTE SUR ISRAËL
Par Jacques BENILLOUCHE

copyright © Temps et Contretemps

            

      Tayyip Erdogan, le premier ministre turc semble revenu à de meilleurs sentiments vis-à-vis d’Israël mais il ne le fait pas de bon cœur : il est contraint par la situation économique et politique dans son pays. Sa côte de popularité est en baisse et à ce train, il risque de perdre les élections ou du moins, d’être éjecté de son poste au profit du président actuel Abdallah Gül. 
        L’année 2014 pourrait être l'année la plus chargée en élections car quatre scrutins doivent être organisés en Turquie : élections présidentielle, législatives, locales et référendum constitutionnel. En effet, il est question de combiner les élections locales prévues en mars 2014 et les élections législatives prévues en juin 2015 pour regrouper le tout en juin 2014.



Économie en berne

Erdem Basci Gouverneur banque centrale turque

            Erdogan paie ses dérives politiques qui l’ont fait choisir le camp arabe plutôt que les pays occidentaux après avoir éjecté Israël. La situation économique est critique avec une Turquie en proie à une forte inflation et à la chute de sa monnaie. Pour enrayer la baisse de la livre, qui a perdu 10% depuis mi-décembre, la banque centrale turque vient de relever son taux directeur de 7,75% à 12 % malgré l’opposition ferme d’Erdogan. Le pays subit un ralentissement très fort de la croissance ramenée de 8% à 2,2% en 2012 tandis que la hausse des prix est passée de 5,3% à 6,6%.
Après une décennie de forte croissance, l'économie turque marque le pas puisque le PIB (produit intérieur brut) n’a augmenté que de 2,2 % en 2012 avec des prévisions de 3 % pour 2013. Le pays, qui vit uniquement à crédit, n'a pas les moyens de financer la croissance effrénée dont rêve son premier ministre. Les réserves de changes se sont écroulées à 37,8 milliards de dollars le 15 janvier contre 45 milliards à la mi-juin 2013, montrant ainsi la fragilité du miracle turc qui voulait pourtant être le modèle pour les révolutions arabes.
Erdogan ne peut que constater l'échec de sa politique internationale et il a perdu de sa superbe au point d’être contraint à revoir ses prétentions à la baisse. C’est pourquoi il lorgne du côté d’Israël pour ranimer son économie alors que, malgré les excuses exprimées par Benjamin Netanyahou, il ne semblait pas pressé de normaliser les relations diplomatiques. Il avait exigé, à titre d'alibi, la levée du siège de Gaza. Il sait que sa brouille avec Israël est mal perçue par les Américains, qui font pression sur lui pour renouer les liens, et encore moins par les Européens qui doivent entamer le processus d'intégration de la Turquie à l'Europe.
Commémoration de la Shoah à Istanbul

          La situation économique lui impose aujourd’hui d’assouplir ses exigences et d’améliorer les relations avec la diaspora juive qui ont souffert de l’épisode du Marmara. Il a donc esquissé quelques gestes significatifs en autorisant son ministère des affaires étrangères à envoyer un représentant officiel aux commémorations de la Shoah, le 27 janvier 2014 à Istanbul. Il a par ailleurs revu les conditions du règlement financier concernant les victimes en acceptant de percevoir directement les compensations financières, évaluées entre 20 et 30 millions de dollars, à charge pour lui de les répartir auprès des familles des victimes. La Turquie abandonnerait aussi toute plainte contre les militaires israéliens. 
Tant de gâchis pour cette reculade !

Erreurs de calcul


Sur le plan politique, Erdogan a finalement compris qu’il s’était complètement trompé dans ses calculs après les printemps arabes. Il retrouve à présent le chemin d’Israël qui n’a jamais cessé son commerce avec la Turquie. On note d’ailleurs quelques frémissements dans les échanges bilatéraux qui sont passés de 3,4 milliards de dollars en 2008 à 4,4 en 2011 et de l’ordre de 4 milliards en 2012.
Mais la réelle préoccupation d’Erdogan reste ses approvisionnements énergétiques puisque que la Turquie importe la quasi-totalité de son gaz et de son pétrole. Elle est soumise à une hausse rapide de la consommation d'énergie qui influe sur les réserves en devises. Elle est donc largement dépendante de l'Iran et de la Russie pour ses ressources énergétiques. Les Russes, qui n’ont pas apprécié le soutien d’Erdogan à la rébellion contre Assad, jouent la carte du gaz pour le punir. Ainsi, la Turquie envisage d'augmenter ses importations de pétrole et de gaz en provenance de Téhéran à la faveur de la levée des sanctions internationales prévue dans le cadre de l'accord intérimaire sur le nucléaire iranien.

Mais la production de gaz israélien en méditerranée orientale a changé la donne. De pays importateur, Israël devient exportateur de gaz et son offre sur le marché bouscule les équilibres face à un gaz russe jusqu’alors dominant. Alors Erdogan se tourne vers les Israéliens avec lesquels il pense être en mesure de mieux négocier pour lui garantir un approvisionnement d’une grande quantité de gaz, sans contrepartie politique. En cas de reprise des relations diplomatiques avec Israël, le premier ministre turc Erdogan peut envisager la construction d’un pipeline de gaz naturel entre la Turquie et Israël pour assurer son indépendance énergétique.
Plage d'Antalya

Déjà quelques signes de renouveau dans les relations sont perceptibles avec la reprise, après cinq années d’arrêt, des vols El AL vers la Turquie, dès cet été, permettant le retour à la normale pour les touristes israéliens qui avaient fui les plages turques. Ils étaient passés de 514.000 en 2008 à 80.000 en 2011 entraînant un manque à gagner sérieux pour l’économie turque et une ponction dans les devises du pays.

Djihadistes

Djihadistes à la frontière turque

Erdogan s’est donc trouvé au pied du mur après avoir enfin assimilé les menaces qu’il subit en même temps qu’Israël. Avec la crise syrienne, les djihadistes sont aux portes de la Turquie avec un risque croissant de déstabilisation de la région. Son pays ne peut se passer de la coopération avec l’allié israélien dont les armes et les drones lui font défaut. C’était d’ailleurs le souhait maintes fois exprimé par Barack Obama qui voyait d’un mauvais œil la querelle entre ses deux principaux alliés au Moyen-Orient.
Fethullah Gülen

Enfin sur le plan intérieur la menace se précise après une série de démissions de plusieurs députés de l’AKP pour cause d’enquête anti-corruption. L’imam Fethullah Gülen, exilé aux États-Unis, piaffe d’impatience pour retrouver le chemin de sa patrie. Ce prédicateur turc à la tête de la puissante confrérie Hizmet est en guerre ouverte avec Ankara. Ses partisans, qui apprécient son enseignement d’un islam tolérant et moderne, sont estimés à plusieurs millions. Ils auraient infiltré la police et la magistrature tandis que nombreux parlementaires «gülenistes», jouant le rôle de taupes dans les rangs de l’AKP, pourraient se remettre au service de Gülen. Ces défections risquent de déstabiliser le pouvoir aux abois.
Erdogan est conscient que les élections locales auront valeur de test. La perte d’une grande ville comme Istanbul ou Ankara serait le signe d’un échec de l’AKP. Pour gagner ces élections, Erdogan a donc besoin de donner des gages économiques pour calmer la contestation qui se développe en Turquie. Alors il compte à présent sur Israël pour inverser le cours de sa courbe de popularité et il démontre la fluctuation de la vie politique et diplomatique qui cache souvent des surprises. 

Mais les Israéliens, échaudés par tant d’ingratitude après des dizaines d’années de collaboration, restent encore réservés. Il leur est difficile d'oublier les rodomontades d'Erdogan en présence d'Ahmadinejad.  La confiance ne reviendra pas aussitôt car une rupture laisse des traces. Ils misent donc sur le départ d’Erdogan de plus en plus rejeté par la classe politique pour assainir les relations. En attendant, un service minimum s’installe et il ne prendra fin qu’avec le retour d’un ambassadeur israélien à Ankara.   

2 commentaires:

  1. Non seulement un fil est rompu avec Erdogan, mais surtout la défiance est de mise. .
    Car, si l'OTAN devait devenir partie prenante au moyen orient, on ne peut compter sur la « neutralité » des éventuels contingents turcs, surtout lors des inévitables et prévisibles accrocs qui seront déclenchés par les djihadistes opposés à tout règlement honorable du problème palestinien.
    Si l'on prend pour norme d'implication, de courage, de détermination et de vaillance le comportement du contingent espagnol qui s'est enfui du terrain, caquetant comme une volaille, dés que quelques pétards ont éclaté. Si l'on prend pour norme de respectabilité la valeur des promesses et de l'engagement international qui, installant une force destinée à vérifier le non-réarment du Hezbollah au Liban, s'est contentée de contempler les livraisons et stockages de missiles non seulement sans réagir ni dénoncer, mais leur seule réaction a été d'interdire à Israël d’empêcher ces approvisionnements.
    Et à présent qu'il y a du gaz et du pétrole en jeu, les divers soutiens à la déstabilisation de la région ne manqueront pas : le Russie n'appréciant que moyennement l'arrivée d'un concurrent qui mettrait fin son exclusivité dans la distribution de gaz dans la région.
    Tous ces « grands » qui prétendent garantir la sécurité d’Israël me font immanquablement penser à un proxénète qui garantirait la virginité d'une jeune fille qu'il est en train de ligoter aux quatre coins du lit.

    Les états unis se désengagent du moyen orient, et, Hollande, en visite aux états unis, espère hériter d'une bonne partie du vide laissé, certaines mauvaises langues prétendraient qu'il y est « allé faire les poubelles ». Et si la France peut espérer la bénédiction d'Obama, c'est parce que c'est la seule nation où, à l'image des états unis, le chef de l'état est le chef des armées et dispose d'une armée qui peut opérer en territoires étrangers sans que son parlement aie à donner son avis.

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  2. Il semblerait qu'Erdogan, d'après ce que j'ai entendu ce matin à la radio, ne souhaite pas améliorer ses relations avec Israël, il aurait exigé la libre circulation sans contrôle pour Gaza... difficile a réaliser aussi longtemps que le Hamas est au pouvoir avec sa politique actuelle ! !

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