TÉHÉRAN : LA CAPITALE OÙ IL FAUT ÊTRE VU
Par
Jacques BENILLOUCHE
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Monument Azadi à Téhéran |
L’Iran est devenu le pays où il est bon d’être vu alors que, pendant des années, les visiteurs politiques préféraient raser les murs de crainte d’être mis à l’index par l’Occident. Il est certain que la décision des États-Unis de renouer avec l’Iran au moyen de l’accord de Genève a été le catalyseur qui a réintroduit l’Iran au sein de la diplomatie internationale.
Barack Obama a ainsi permis de rompre l’isolement politique auquel était astreint l’Iran. Tout le monde se presse à nouveau pour faire acte d’allégeance au président Hassan Rohani qui serait en passe de devenir le grand ordonnateur du Moyen-Orient. Les visiteurs cherchent à gagner la course de l’amitié et de la coopération avec l'Iran.
Les premiers à
aller à Canossa ont été les dirigeants du Hamas qui ont fait le voyage le 12
octobre 2013. Ils avaient fait le choix d’une alliance avec les Frères
musulmans égyptiens contre la Syrie et se sont retrouvés isolés après la chute
du président Morsi. Mohamed Nasr, membre du Bureau politique du Hamas, s'est
rendu en Iran pour réduire l'écart dans la relation entre les deux parties.
Khaled Mechaal, leader exilé du Hamas, attend une invitation de Téhéran mais il
semble qu’il ait encore à attendre car l’Iran ne lui pardonne d’avoir rompu
avec le président Assad et d’avoir déserté la Syrie. Il avait tenté de se
justifier en expliquant que le Hamas n’avait pas pris de position contre l’Iran
et que les divergences sur certains dossiers sont tout à fait légitimes entre
amis : «la question qui unit le Hamas avec l'Iran est la question de la
libération de la Palestine et celle de Jérusalem : il s'agit de points de
convergence beaucoup plus que de
divergence.»
Al Maliki et Rohani |
Le premier
ministre irakien Nouri al-Maliki s’est rendu en visite officielle à Téhéran le
4 décembre dans le but de renforcer les relations bilatérales dans divers
domaines. Al Maliki est coutumier des visites en Iran mais il tenait à être
parmi les premiers étrangers à saluer l’investiture d’Hassan Rohani. La prise
de pouvoir par les chiites irakiens avec l'aide de l'Iran, a créé une nouvelle
dynamique entre les deux pays voisins, qui ont rétabli des liens étroits à
l'issue d'une guerre dans les années 1980.
Emma Bonino à Téhéran |
Pour la
première fois en une décennie, un diplomate occidental, en l’occurrence la
ministre italienne des affaires étrangères, Emma Bonino, s’est rendue à Téhéran
le 22 décembre. Cette
visite avait pour but, selon elle, d’étudier la possibilité d’un rétablissement
des relations diplomatiques entre les deux pays et de renforcer leur
coopération économique. Elle tenait à afficher les nouvelles bonnes
dispositions de l’Italie.
Jibril Rajoub à Téhéran |
Le 28
janvier, l’Autorité palestinienne a envoyé un de ses dirigeants en Iran ce qui
constitue une situation d’exception. Jibril Rajoub, membre du comité central du
Fatah a créé la surprise en se rendant à Téhéran car depuis la signature des
accords d’Oslo en 1993 aucun dirigeant de l’OLP n’était invité par les Mollahs.
Seul Mahmoud Abbas avait été accepté exceptionnellement au sommet des pays
non-alignés en août 2012 à Téhéran.
En
présence de Jibril Rajoub, le ministre iranien a réaffirmé «la position
immuable de soutien de l'Iran au peuple palestinien et à ses droits et son
appui à l'édification d'un État indépendant avec Jérusalem comme
capitale ». Le dirigeant du Fatah a de son côté «appelé le peuple
iranien et son gouvernement à renforcer leur soutien aux Palestiniens face à
l'occupation et aux tentatives d'Israël de judaïser la Ville sainte et en
expulser ses habitants». L'Autorité palestinienne tient à renouer les liens avec l'Iran, au moins pour court-circuiter les avances du Hamas.
Visites
planifiées
Le haut
représentant de l'Union Européenne pour les affaires étrangères et la politique
de sécurité, Catherine Ashton, s’est dit prête à effectuer une première visite
en Iran. Elle a reçu une invitation du ministre iranien des affaires étrangères
Javad Zarif à visiter l'Iran.
Guillaume Soro et l'ambassadeur d'Iran |
Enfin
l’Afrique n’est pas en reste. Le Président de l’Assemblée nationale de Côte
d’Ivoire, Guillaume Soro a reçu une lettre d’invitation pour se rendre en Iran.
L’Ambassadeur d’Iran, Mohammad Emini-Nejad, lui a remis un courrier personnel à
cette intention et la visite serait imminente.
Erdogan et Khamenei |
Le
dernier à se faire inviter à Téhéran a été le premier
ministre turc Recep Tayyip Erdogan qui veut élargir les liens économiques et
s’entretenir de la guerre civile syrienne alors que les deux pays soutiennent
les deux bords opposés. L’Iran soutient le régime de Bachar Al-Assad alors que
la Turquie appuie les rebelles. Erdogan trouve ainsi un moyen de détourner l’attention
sur le scandale de corruption massive sur des ventes d’or illégales à l’Iran. Mais
la Turquie est intéressée à augmenter ses importations de pétrole et de gaz
iraniens ce qui explique la présence dans la délégation du ministre des
affaires étrangères Davutoglu, du ministre de l'Énergie Taner Yildiz et du
ministre de l'Économie Nihat Zeybekci.
Diplomatie
tout azimut
Cette
campagne diplomatique démontre la capacité d’Hassan Rohani à devenir
l’interlocuteur privilégié dans la région. Soit il s’inscrit dans une volonté
pacifique pour orienter son pays vers le bien-être d’une population qui souffre
en silence. Soit il entretient un
dialogue généralisé avec toutes les chancelleries afin d’étendre un voile de
fumée sur ses réelles intentions en matière nucléaire militaire. Il est certain
que cette diplomatie tout azimut complique la tâche de Benjamin Netanyahou, qui
doit certainement regretter Ahmadinejad. Il se trouve isolé politiquement dans
sa croisade contre l’Iran, avec l’éventualité d’être contraint de renoncer à la
force contre les usines nucléaires iraniennes face au succès diplomatique de
Rohani.
Un
signal d’alarme n’avait pas été perçu par les Israéliens à l’occasion de la
68ème Assemblée des Nations Unies. La délégation israélienne avait été la seule
à quitter la salle, mettant en évidence la volonté de tous les autres pays d’entendre et de cautionner le discours du
nouveau président de l'Iran. Hassan Rohani avait déjà marqué un point lorsque
le président Obama avait affirmé ce que la République islamiste souhaitait
entendre. Il avait confirmé qu’il ne cherchait pas à détruire le régime iranien
et qu'il respectait le droit de l'Iran à accéder à l'énergie nucléaire à des
fins pacifiques.
Il est
vrai que les contingences financières ne sont pas étrangères à cette stratégie
car une négociation réussie avec l’Iran coûterait moins cher au trésor américain
qu’une guerre. Il est vrai surtout que les opinions publiques américaines et
israéliennes sont sceptiques quant aux résultats imprévisibles d’une opération
militaire contre l’Iran. Barack Obama a aussi intégré l’idée que la
pacification de l’Afghanistan, de l’Irak, de la Syrie et même du Liban passait
par le bon vouloir des Mollahs.
L’Iran
pourrait être sincère dans sa démarche pacifique car il est étouffé par les
sanctions économiques. Le remplissage en dollars des caisses de l’État iranien
le rendrait plus indépendant de la volonté du peuple dont les conditions de vie
se dégradent. Il peut aligner tellement
de matériel militaire conventionnel qu’il estime avoir les moyens de contenir
une attaque même s’il ne dispose pas de l’arme nucléaire. Il a surtout compris
qu’il peut redevenir une puissance régionale depuis la chute des leaderships égyptien et turc.
Opposition
intérieure
Hassan
Rohani n’a pas les mains libres sur le plan intérieur. Il a besoin de
consolider son pouvoir face aux menaces des différents clans intégristes. Il
sait qu’il est à la merci d’une décision du guide suprême, Ali Khamenei, qui
pourrait le désavouer à tout instant et lui faire perdre le soutien des
Gardiens de la Révolution, épine dorsale du régime. À l’extérieur il doit
prouver ses intentions louables pour dissiper la méfiance et les craintes d’Israël
et de l’Arabie saoudite qui s’inquiètent du programme nucléaire iranien. En se
positionnant comme un dirigeant sensible au dialogue pacifique avec une
diversité de pays, il cherche à prouver que l’Iran pourrait suivre la trace de
l’Allemagne, de l’Argentine, de l’Espagne et de l’Italie qui, grâce à leurs industries
nucléaires civiles, disposent d’une technologie qui peut les mener à l’arme
nucléaire. Mais ils ne le souhaitent pas et écartent la solution de l’arme
nucléaire.
Barack
Obama veut convaincre les Israéliens qu’ils auraient intérêt à suivre sa
stratégie du rapprochement avec les Iraniens, la seule capable d’assurer leur
désarmement en douceur et dans le temps, au moins avant la fin de son mandat. Seulement les Iraniens n'en veulent pas de ce rapprochement. Mais cette stratégie ne sera probante que si le pouvoir interne de Rohani est
consolidé par des réformes démocratiques inédites, par la suppression de la
peine de mort, par la liberté syndicale, par l’autorisation des partis
politiques, par la suppression des contraintes vestimentaires et par la
libération des détenus politiques. Certes tous ces éléments restent cachés aux
invités de marque qui se pressent dans les salons de la présidence parce qu’il
est bon d’y être vus.
Tous se précipitent alors que l'Iran est encore sous surveillance pour une période de six mois, et que les preuves que ses engagements, et désengagements, sur le nucléaire militaire ne sont pas encore réunies. Israël, encore une fois, sera seul et mis au pied du mur !
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