GENEVE II : UNE OPPOSITION SYRIENNE AUX CONTOURS DOUTEUX
Par Jacques BENILLOUCHE
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Coalition nationale |
L’opposition syrienne regroupée dans une Coalition nationale se prépare à participer à mi-novembre à la future conférence internationale, dite Genève II, pour une transition politique en Syrie. Le président Bachar Al-Assad dénie déjà tout rôle à l'Europe dans ce processus : «Franchement, la plupart des pays européens n'ont pas la capacité de jouer un rôle dans Genève II, car ils ne possèdent pas les atouts nécessaires pour réussir dans ce rôle». Cela lui a valu immédiatement quelques flèches acerbes de la part de Laurent Fabius : «Bachar al-Assad raconte ce qu'il veut. On doit l'entendre comme un criminel contre l'humanité, responsable de plus de 100.000 morts et qui a fait gazer 1.500 personnes de sa population».
Affaire russo-américaine
La conférence Genève
II était à l’origine une affaire russo-américaine mais la France a tout fait
pour s’y associer sous prétexte qu’elle est membre permanent du Conseil de sécurité.
Laurent Fabius a d’entrée de jeu posé le principe d’une restriction en ce qui
concerne les participants : «nous voulons trouver un accord entre des
représentants du régime et l'opposition modérée pour que ce ne soient pas les
terroristes, les extrémistes, al-Qaïda qui tirent les marrons du feu».
Mais il est cependant difficile de voir le contour précis de cette
opposition composée de multitudes de clans et de factions, ayant tous des
intérêts divergents et des idéologies opposées. Il est difficile de considérer
l’opposition syrienne comme une entité sérieuse
monolithique puisqu’elle se subdivise en plusieurs organisations.
Structures autonomes
L’ASL (Armée
Syrienne Libre) a été la première structure qui s’est opposée les armes à la
main contre le régime syrien, mais elle a été vite débordée. Constituée de bric
et de broc de déserteurs de l’armée, de musulmans, de chrétiens et d’alaouites,
elle s’était donnée comme fondement le rétablissement de la démocratie et de la
laïcité en Syrie. Le général Sélim Idriss, installé en Turquie, commande depuis
sa création les 20.000 combattants de l’ASL.
Mais les
différents groupes qui l’ont rejointe ont dénaturé son combat en créant le
doute parmi ceux qui l’ont soutenue dès
le départ à l’instar des Américains, des Européens et des Saoudiens. Mais l’ASL
a succombé elle-aussi à la division puisqu’elle comprend à présent deux entités
de 10.000 hommes, Ahfad al-Rassoul et Jabhat Ahrar Syria. Cette division l’a
affaiblie sous les coups des djihadistes radicaux entrainant une hésitation des
Européens à la financer et à l’armer de crainte que l’arsenal ne tombe entre
des mains extrémistes.
Par ailleurs, l’ASL
n’a jamais réussi à s’imposer comme interlocuteur unique parce qu’elle a laissé
se développer une multitude de comités locaux, agissant pour leur compte, trop
peu armés pour participer aux combats et se contentant de régner localement en survivant
grâce à un financement occulte distribué avec parcimonie.
Islamistes
L’erreur capitale
de l’ASL est de n’avoir pas su prévoir que des islamistes de tous bords allaient
polluer l’opposition avec pour seul objectif de faire tomber le régime de Damas
pour y instaurer une république islamique. À Alep, le groupe Liwa
al-Tawid, proche des Frères musulmans, aligne 10.000 hommes tandis qu’à Idlib,
banlieue de Damas, deux groupes Liwa al-Islam et Suqqur al-Sham préparent
l’avènement du califat.
La région de Homs
et de Rastan est gérée par la brigade Farouk, composée de milliers de
salafistes dits «modérés» réunis au sein du FILS (Front islamique pour
la libération de la Syrie). Ils sont financés par le Qatar et en partie par la Turquie et désavouent la
coalition nationale de l’opposition éliminant toute possibilité de négociations.
Jabhat al-Nosra |
De leur côté, les
djihadistes radicaux veulent revenir au califat omeyyade, qu’ils considèrent
comme l’âge d’or de l’islam, en imposant la charia, seule loi acceptable à
leurs yeux et en combattant à la fois les chrétiens et les chiites mis sur le
même plan. Ils se sont réunis sous le FIS (Front islamique de Syrie) avec plus
de 20.000 combattants constitués en plusieurs mouvances dispersées sur
plusieurs régions : Ahrar al-Cham à Homs, Idlib,
Lattaquié et Alep et le groupe Jabhat al-Nosra. Ils ont intégré de nombreux
combattants étrangers venus d’Europe et du Maghreb, à l’exception des chiites
et des alaouites. Ils sont financés par les pays du Golfe, les Koweïtiens et
les Saoudiens.
Les djihadistes d’obédience
internationale sont les terroristes affiliés officiellement à Al-Qaeda sous
deux appellations : Jan (Jabhat al-Nosra) et EIIL (l’État islamique d’Irak
et du Levant). Ils utilisent la Syrie comme base opérationnelle mondiale pour
étendre le combat vers l’Occident et les monarchies du Golfe. Leurs techniques
de combat à base d’attentats suicides et de voitures piégées sont connues. Ils
excellent sur le terrain grâce à des combattants étrangers cruels, aguerris sur
d’autres fronts, les Tchétchènes, les Irakiens, les Afghans et les Libyens. Ils
sont financés par les pays du Golfe qui leur ont permis d’acquérir un arsenal
important les mettant en première position de force dans l’opposition.
Combattantes kurdes en Syrie |
Enfin quelques
combattants kurdes du PKK et du Pejak ont rejoint l’opposition syrienne mais
ils roulent essentiellement pour eux. D’inspiration marxiste, ils s’engagent
dans le combat pour obtenir une autonomie kurde au nord-ouest de la Syrie et
pour verrouiller leur région afin d’interdire l’accès aux rebelles.
Nébuleuse
de formations hétéroclites
Cette nébuleuse de
formations hétéroclites rebelles tend à démontrer que Genève II risque certainement
l’échec. Il y a trop d’influence étrangère et d’intérêts claniques pour trouver
un consensus entre des rebelles totalement opposés dans leurs soutiens, dans
leur idéologie et dans leurs méthodes. L’Europe et les États-Unis n’ont pas
saisi cette situation qui les a poussés à vouloir à tout prix une frappe
militaire qui aurait ouvert le pouvoir à des radicaux uniquement intéressés par
la déstabilisation du Proche-Orient.
On voit mal, par quel miracle, des combattants qui se détestent et
s’entretuent vont pouvoir s’entendre sur le régime qui devra se substituer au
régime de Bachar Al-Assad. Sauf à vouloir signer un protocole d’accord alibi,
avec les seuls représentants de l’ASL, les décisions de Genève II deviendront
vite obsolètes avant d'avoir été appliquées. Cela prouve que Bachar Al-Assad dispose encore
devant lui de plusieurs années de dictature sanglante qui ramèneront la Syrie
au temps du Moyen-âge ou des Omeyyades.
Depuis 1970, donc depuis 43 ans, la Syrie vit sous le régime du parti unique : Le Baas, dirigé par un Assad.
RépondreSupprimerAujourd'hui on entend des naïfs qui affirment qu'il suffit de dégager Assad pour voir s'y instaurer une démocratie.
Comme si la démocratie était une structure naturelle que Bachar empêcherait de fleurir. Alors que chaque homme politique sait parfaitement qu'en préalable à toute démocratie, il faut d'abord des structures, des assemblées élues et une constitution, on entend M. Fabius se joindre aux piaillements de ces bobos bornés.
Un pays qui est gouverné par une dictature depuis si longtemps ne peut être gouverné que par une dictature de transition, car il n'existe aucune autre structure ou système administratif qui permette de gérer autrement le pays.
C'est cette nouvelle dictature qui peut ordonner la création de structures démocratiques. Comme on le voit en Égypte où l'armée tente d'instaurer des structures démocratiques et une constitution, afin qu'une véritable démocratie puisse s'installer.
Dans tous les pays sans structures démocratiques, la transition entre dictature et démocratie ne peut se faire qu'à travers une nouvelle dictature.
Or, aujourd'hui, en Syrie, aucun des groupuscules belligérants ne porte l'espoir de démocratie pour les Syriens. Bien au contraire, Monsieur Fabius semble ignorer que la majorité des belligérants prônent l’avènement de la Charia.
Sauf à croire que la Charia protégera mieux les minorités Syriennes que ne l'ont fait les Assad depuis 40 ans, les prises de positions de monsieur Fabius sont bien aventureuses.
D'autre part, de quels moyens Monsieur Fabius dispose-t-il pour empêcher le génocide des civils Alaouites, une fois Bachar éliminé ? Ils ne sont que deux millions.
l'Europe est inexistante dans cette affaire. Seule la france essaie de s'imposeret d'interférer dans le face à face Us Russie qui fait la part belle à Assad et qui est dominé par Poutine
RépondreSupprimerl'ASL est-elle crédible et légitime aujourd'hui alors qu'elle vient d'imploser ? Même question pour le CNS ? Si je peux me permettre, en complément:
RépondreSupprimerhttp://corto74.blogspot.fr/2013/09/syrie-lonu-est-ravie-bachar-el-assad.html
Cher monsieur Benillouche,
RépondreSupprimerLe 16 septembre dernier paraissait dans Le Figaro, un entretien avec Domenico Quirico, journaliste italien, envoyé spécial de La Stampa au Moyen-Orient et retenu en otage pendant cinq mois par les opposants à Bachar el-Assad.
A la question : " Q'avez-vous compris de la révolution syrienne ?", il répond : "Il n'y a plus de révolutionnaires mais seulement des milices féroces, en pleine débandade. La révolution a perdu son honneur. Sur le terrain l'ASL n'existe plus. Elle s'est évporée...seuls les djihadistes sont restés pour organiser la résistance. Ils se préparent à conquérir le pays quand Assad aura été éliminé, puis ils se lanceront à la conquête des pays voisins et du Maghreb. Leurs alliés du moment, en Syrie, ne sont que des hyènesqui, sous un vernis d'islamisme révolutionnaire, se livrent à mille trafics séquestrent, rançonnent, s'emparent des maisons et des vies..."
Avec de pareils partenaires je souhaite bien du plaisir aux participants de cette conférence.
Très cordialement.