LE REGARD DE JACQUES
BENILLOUCHE POUR TRIBUNEJUIVE.INFO
LA CHUTE DES FRÈRES MUSULMANS MET LES SALAFISTES EN ORBITE
La chute des Frères musulmans en
Égypte accroit l’influence grandissante des salafistes arabes. Elle est le
résultat des relations conflictuelles entre le Qatar, proche des Frères
musulmans, et l’Arabie saoudite inspiratrice des salafistes. La différence
idéologique des deux clans de l’islam tient à leur méthode pour arriver au
pouvoir.
Les Frères musulmans veulent islamiser le pays par le haut,
c’est-à-dire par une prise de pouvoir politique au sommet après utilisation des
structures étatiques. Les salafistes ont
le même objectif d’islamiser le pays, mais par le bas, en utilisant la population pour remodeler les
instances du pouvoir par une application intensive de la charia. Contrairement aux Frères
musulmans, mieux organisés, les mouvances fondamentalistes restent hétéroclites.
Le printemps arabe a permis aux
adeptes d’un retour aux sources des «pieux ancêtres» (al-salaf el-saleh,
en arabe) dont une seule petite frange prône le recours à la violence. La
stratégie des salafistes s’explique, selon Jean-Pierre Filiu professeur à Sciences
Po, par «une volonté de créer un rapport
de force dans la rue, en prenant prétexte de la dénonciation des atteintes au
sacré». L’Arabie saoudite a encouragé la propagation du discours salafiste
à travers ses différentes chaines de télévision dans
le seul but de diviser les
islamistes et d’affaiblir les Frères musulmans. Les partisans du Qatar ont
instrumentalisé les salafistes pour leur faire jouer le rôle d’épouvantails,
dans les pays en butte à une insurrection populaire. Bachar Al-Assad a
d’ailleurs trouvé en Syrie, grâce à eux, une justification aux massacres des groupes
terroristes qui s’opposent à lui.
Cheikh salafiste libanais al-Assir |
Pour permettre un maillage de toute
une population dans plusieurs pays, les salafistes se regroupent en petites
formations hétéroclites dirigées par des cheikhs influents. S’ils axent leur message sur l’aspect religieux
et social, ils n’oublient pas de défendre leur dogme. Certes, ils n’excellent
pas dans le discours politique, souvent mal compris par leurs adeptes, mais ils
arrivent à convaincre de la nécessité de réformes religieuses fondées sur la
charia.
Tous les pays arabes sans exception
ont réprimé la mouvance salafiste. En Libye, Mouammar Kadhafi avait pris
prétexte de la destruction de mausolées musulmans pour combattre l’organisation
salafiste radicale libyenne, «Katibat ansar el-charia», à l’origine d’ailleurs de l’attaque du
consulat américain à Benghazi. Le président de Ben Ali les avait pourchassés en
Tunisie tandis que le régime actuel islamiste
d’Ennahda les combat dans les montagnes de Chaambi pour
les renvoyer au-delà de la frontière algérienne.
Salafiste tunisien : Abou Iyyadh Al-Tunisi, |
Salafistes égyptiens
Les salafistes n’ont pas de culture
de gouvernement et ne cherchent pas à entrer en politique. Ils ont souvent tendance
à susciter les débordements dans les pays faibles pour essayer de récupérer à
leur profit le mécontentement des populations.
Salafistes égyptiens |
En Égypte en revanche, sur les
conseils de l’Arabie saoudite, ils ont appris à modérer leur discours pour
entrer dans le jeu politique. Aux dernières élections législatives, ils avaient
remporté 25% des sièges en deuxième place derrière les Frères musulmans. Mais la chute des Frères musulmans hypothèque
l’avenir de l’islam politique qui disposait du
plus grand pays arabe pour se crédibiliser et pour se diffuser. Ce problème a d’ailleurs été discuté au
sommet, au sein de l’Organisation internationale des Frères musulmans, Tanzim Dawli, qui a convoqué d’urgence une réunion de crise
à Istanbul pour prendre les mesures contre le coup subi par la Confrérie. Elle
a analysé les raisons de l’échec égyptien et les risques sur l’avenir de
l’islam politique.
Les divisions s'enveniment au sein même des Frères car
le clivage entre jeunes et anciens dirigeants s’exprime au grand jour. Le
mouvement créé par Hassan Al-Banna il y a 80
ans n’a pas résisté à sa première expérience gouvernementale. Les printemps
arabes ont perdu leur idéologie constitutive des révolutions. Le chercheur
Ammar Ali Hassan attribue cet échec à «un
orgueil soutenu par une volonté de s’accaparer le pouvoir, mais avec une
incapacité et une inefficacité de gouvernance. L’islam est la solution s’est révélé illusoire». L’effondrement de
Morsi n’est pas dû à un problème d’idéologie ou de charia mais à son pouvoir
personnel : «la légitimité c’est moi». La Confrérie a pourtant résisté
aux coups de Nasser et de Moubarak car son organisation était semi-secrète mais
elle s’est effondrée après seulement une année de pouvoir de Morsi.
Al-Nour au pouvoir en Égypte
Les salafistes profitent donc de la
crise au sein des Frères musulmans pour tenter de représenter, à leur place, le
nouvel islam politique. D’ailleurs le
parti salafiste Al-Nour se pose à présent en leader des partis islamiques. Les salafistes avaient disparu du champ de
vision mondial mais ils réapparaissent à présent pour être courtisés par les forces politiques en Égypte.
Une image reste dans les esprits pour conforter leur place dans l’échiquier égyptien. Le général Al-Sissi avait annoncé le 3 juillet le départ du président Morsi alors qu’il était accompagné de personnalités politiques et religieuses représentatives dont le cheikh d’Al-Azhar Ahmad Al-Tayeb, le pape Tawadros II, le prix Nobel de la paix Mohamed Baradei et Galal Morra, secrétaire général du parti Al-Nour.
La réunion du 3 juillet 2013 |
Une image reste dans les esprits pour conforter leur place dans l’échiquier égyptien. Le général Al-Sissi avait annoncé le 3 juillet le départ du président Morsi alors qu’il était accompagné de personnalités politiques et religieuses représentatives dont le cheikh d’Al-Azhar Ahmad Al-Tayeb, le pape Tawadros II, le prix Nobel de la paix Mohamed Baradei et Galal Morra, secrétaire général du parti Al-Nour.
L’entrée en politique des salafistes
est une surprise car il n’est pas dans leur culture de participer aux affaires
d’un pays, surtout quand il s’agit de cautionner l’éviction de l’islamiste Morsi.
L’Arabie saoudite a voulu battre le fer chaud pour installer ses pions dans un
pays qui l’avait boudée au profit du Qatar et de ses millions de dollars. Les
salafistes ont donc analysé les erreurs
des Frères musulmans pour les éviter.
Mais leurs relations avec l’armée restent une inconnue car ils n’ont jamais pactisé avec les militaires. Par pragmatisme, ils ont été contraints de se rapprocher des nouveaux tenants du régime égyptien pour sauver ce qu’ils pouvaient encore sauver, la Constitution avec ses pans entiers de dogme islamiste et le Parlement où ils occupent 25% des sièges. Ils disposent d’une influence certaine puisqu’ils ont réussi à bloquer la nomination de Mohamed El-Baradei et du socialiste Ziad Bahaeddine du poste de premier ministre. La fragilité du nouveau gouvernement les met en position d’imposer leur avis sur certaines décisions politiques.
Ziad Bahaeddine |
Mais leurs relations avec l’armée restent une inconnue car ils n’ont jamais pactisé avec les militaires. Par pragmatisme, ils ont été contraints de se rapprocher des nouveaux tenants du régime égyptien pour sauver ce qu’ils pouvaient encore sauver, la Constitution avec ses pans entiers de dogme islamiste et le Parlement où ils occupent 25% des sièges. Ils disposent d’une influence certaine puisqu’ils ont réussi à bloquer la nomination de Mohamed El-Baradei et du socialiste Ziad Bahaeddine du poste de premier ministre. La fragilité du nouveau gouvernement les met en position d’imposer leur avis sur certaines décisions politiques.
Les salafistes d'Al-Nour |
Il est certain que leur présence au
pouvoir va exacerber la rivalité entre Al-Nour et les Frères musulmans qui
n’est pas nouvelle puisqu’ils avaient présenté des listes distinctes aux élections
législatives et que Abdel-Moneim Aboul-Foutouh a été le candidat présidentiel sans succès
des salafistes. Ils n’hésitent pas aujourd’hui à critiquer ouvertement l’hégémonie
de Morsi qui ne leur a laissé aucune petite place dans les institutions, en
particulier dans le contrôle sur les mosquées par le biais du ministère des
Waqfs. Le parti Al-Nour s’est aussi distingué dans le traitement du conflit
syrien en s’alignant, contrairement à Morsi, sur la stratégie de l’Arabie
saoudite.
Les Frères musulmans, bien que
partisans de la charia, gardent cependant leur étiquette surfaite de «modérés»,
sous prétexte qu’ils ne rejettent pas la démocratie et la laïcité accusées par
les salafistes de corrompre la foi musulmane. Mais les salafistes veulent
exploiter les changements intervenus dans les révolutions arabes car ils voient
dans les processus de transition une occasion historique de créer un État et
une société islamiques. L’entrée en politique des salafistes représente cependant
une radicalisation de l’islam politique. Elle entérine la victoire de l’Arabie
saoudite sur le Qatar qui n’a plus d’autres alliés que le Hamas et d’une
certaine mesure la Turquie.
http://www.tribunejuive.info/moyen-orient/la-chute-des-freres-musulmans-met-les-salafistes-en-orbite
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