EGYPTE : LE RETOUR DE L’ARMÉE ÉTAIT PRÉVISIBLE
Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps
Une
analyse à froid des évènements en Égypte tend à prouver que le retour de l’armée
en Égypte n’était pas une surprise. Beaucoup de signaux d’alerte avaient été
envoyés par les militaires mais les autorités islamiques au pouvoir, fortes de
leur légitimité, n’ont pas voulu en tenir compte. La destitution de Mohamed
Morsi coulait donc de source.
En effet, à l’arrivée des Frères musulmans, les
généraux avaient accepté de se mettre en
retrait mais ils ont continué à contrôler à la fois le secteur économique, dont
ils détiennent plus de 30%, et le fonctionnement de l’État. Ils voulaient en
fait jouer le rôle qui était dévolu à l’armée turque, celui de garant des
institutions laïques. L'armée, qui
a joué un rôle décisif dans la chute du régime Moubarak en février 2011, s'est
cependant tenue à l'écart des joutes politiques depuis l'accession à la présidence de
Mohamed Morsi.
Le président égyptien Mohamed Morsi, qui avait été
désigné par défaut à la suite de l’invalidation du vrai candidat, Khairat al-Chater, avait voulu faire preuve d’autorité en écartant
immédiatement le maréchal Hussein Tantaoui, ministre de la Défense depuis 20
ans. Il avait par ailleurs, annulé la «déclaration » accordant de larges pouvoirs législatifs
à l'armée par le Conseil suprême des forces armées le 17 juin, dirigeant de
fait du pays.
Les généraux voulaient garder un droit de veto sur toute nouvelle loi ou mesure budgétaire et se réservaient la faculté d’amender la rédaction de la future Constitution. Le chef d'état-major de l'armée et numéro-2 du CSFA, Sami Anan, avait fait partie de la charrette en étant placé d’office à la retraite et remplacé par le général Sedki Sobhi en août 2012.
Conseil suprême des forces armées |
Les généraux voulaient garder un droit de veto sur toute nouvelle loi ou mesure budgétaire et se réservaient la faculté d’amender la rédaction de la future Constitution. Le chef d'état-major de l'armée et numéro-2 du CSFA, Sami Anan, avait fait partie de la charrette en étant placé d’office à la retraite et remplacé par le général Sedki Sobhi en août 2012.
Au lieu de chercher d'abord à consolider sa position, Mohamed Morsi
avait maladroitement entamé un bras de fer avec les militaires alors qu’il
savait que l’armée contrôlait le système depuis la chute de la monarchie en
1952. Il avait ainsi pêché par trop
d’empressement en affrontant le pouvoir militaire, estimant l’avoir neutralisé
puisque le limogeage de Tantaoui et d’Anan s’était passé en douceur.
Il s’était mépris sur le comportement passif du nouveau ministre de la Défense, Abdelfattah Al-Sissi, qui a poussé l’armée à rentrer dans ses casernes et qui n’a montré aucune velléité à entrer en politique. Cela a été interprété comme un signe de faiblesse. Or les militaires avaient préféré temporiser pour ne pas avoir à nouveau la rue contre eux. Ils se sont bornés à assurer le maintien de leurs privilèges que Morsi avait acceptés dans la nouvelle constitution. Mais ils avaient donné l’illusion qu’ils avaient quitté le pouvoir.
Général Al-Sissi |
Il s’était mépris sur le comportement passif du nouveau ministre de la Défense, Abdelfattah Al-Sissi, qui a poussé l’armée à rentrer dans ses casernes et qui n’a montré aucune velléité à entrer en politique. Cela a été interprété comme un signe de faiblesse. Or les militaires avaient préféré temporiser pour ne pas avoir à nouveau la rue contre eux. Ils se sont bornés à assurer le maintien de leurs privilèges que Morsi avait acceptés dans la nouvelle constitution. Mais ils avaient donné l’illusion qu’ils avaient quitté le pouvoir.
Des Frères suspects
Mais ces méthodes expéditives contre les deux plus
hauts gradés de l’armée avaient choqué tout en éveillant les soupçons sur l’objectif
réel des Frères musulmans. Les généraux craignaient que l’armée soit purgée à
la base, comme elle l’a été en Turquie et en Iran, et que le nouveau pouvoir remplace
les soldats et officiers par des militants chargés d’islamiser l’armée. Ils avaient
certes adopté une attitude ambivalente en refusant de réprimer l’opposition
mais en ne s’opposant pas à l’état d’urgence décrété par le gouvernement le 27
janvier dans trois provinces (Port-Saïd, Ismaïlia et Suez) situées sur le canal
de Suez.
La méfiance s’était alors installée et le général Sissi
a été contraint de lancer sa première mise en garde en affirmant, le 14 février
2013, qu’il ne «permettrait ni aux Frères musulmans, ni à aucun autre groupe
politique de dominer l’armée». Il avait simultanément refusé que l’armée fasse un travail de police
en arrêtant les civils.
Zia Ul-Haq |
En fait les Frères musulmans rêvaient d’une armée à la
pakistanaise comme l’avait instituée l’ex-président Zia Ul-Haq qui avait
transformé une armée apolitique en une armée islamiste. Mais il avait eu la
sagesse de procéder par paliers en introduisant d’abord l’enseignement religieux dans les académies
militaires. Il avait ensuite imposé aux officiers qui voulaient booster leur
carrière, d’être non seulement de bons professionnels, mais aussi de bons experts
en préceptes coraniques concernant la guerre.
Mohamed Badie |
Mais Mohamed Morsi avait senti que le temps lui était
compté et il a alors brusqué les évènements. Ne voulant pas s’en prendre ouvertement
aux militaires il a mandaté les dirigeants de la Confrérie, Mohamed Badie en
tête, pour critiquer avec violence l’armée et ses officiers. Contrairement à
ses prédécesseurs, il ne connaissait rien aux questions de sécurité nationale
et ignorait tout de la stratégie militaire de son armée. Malgré cela, il n’avait demandé
aucun conseil lorsqu’il fallut prendre des décisions qui pouvaient influer sur
la sécurité du pays.
Ainsi, l’armée n’avait pas été consultée lorsque le
rapprochement avait été engagé avec le Hamas à Gaza qui avait adopté une
stratégie de guerre avec Israël. L’armée ne pouvait cautionner la dérive
militariste parce qu’elle avait compris que la sécurité de l’Égypte, et de la
péninsule du Sinaï en particulier, passait par une collaboration avec les
forces militaires israéliennes. Par ailleurs, l’aide américaine était
conditionnée par un calme aux frontières et il ne s'agissait pas de détériorer les relations américano-égyptiennes.
L’installation des djihadistes à la frontière israélienne risquait de déboucher sur une guerre ouverte avec les forces israéliennes avec lesquelles l’Égypte ne pouvait se mesurer. Les militaires égyptiens en étaient conscients. Or ils ont senti que le Hamas et les djihadistes avaient intérêt à réchauffer le front de Gaza. Ils voulaient bien à la rigueur collaborer avec le Hamas mais en aucun cas avec les salafistes qui avaient envahi le Sinaï avec le but de mettre à feu et à sang l’Égypte pour la conquérir.
Généraux égyptiens et américains |
L’installation des djihadistes à la frontière israélienne risquait de déboucher sur une guerre ouverte avec les forces israéliennes avec lesquelles l’Égypte ne pouvait se mesurer. Les militaires égyptiens en étaient conscients. Or ils ont senti que le Hamas et les djihadistes avaient intérêt à réchauffer le front de Gaza. Ils voulaient bien à la rigueur collaborer avec le Hamas mais en aucun cas avec les salafistes qui avaient envahi le Sinaï avec le but de mettre à feu et à sang l’Égypte pour la conquérir.
L’attitude ambiguë de Morsi vis-à-vis des salafistes semait
le trouble au sein de l’armée mais le président avait besoin de leur coopération,
sinon de leur neutralité, pour consolider son pouvoir. Les salafistes
posaient cependant comme condition à leur participation aux affaires de l’État le soutien
officiel aux rebelles djihadistes qui combattaient le régime de Bachar Al-Assad
comme l’avait annoncé Morsi le 15 juin 2013. Il avait alors déclaré : «nous
avons décidé aujourd'hui de rompre nos relations avec la Syrie et avec le
régime syrien actuel. Le peuple égyptien soutient la lutte du peuple syrien,
matériellement et moralement, et l'Égypte, son pays, son leadership et son
armée n'abandonneront pas le peuple syrien jusqu'à ce qu'il atteigne ses droits
et la dignité. » L’armée égyptienne, qui n’avait pas été consultée, avait considéré cette incitation à rejoindre
la rébellion comme une décision irréfléchie mettant en danger la sécurité même
du pays.
Iran et erreurs économiques
L’armée égyptienne savait que le problème iranien
était un point d’achoppement pour les Américains et pour les israéliens. Elle
tenait aux financements des États-Unis qui risquaient de se tarir. Les
relations entre l'Égypte et l'Iran s’étaient fortement dégradées après la
révolution islamique à Téhéran en 1979 ; Le Caire avait accueilli le shah
après son renversement. Mohamed Morsi, dans sa volonté d’ouverture tout azimut,
a tenté de rapprocher les deux pays après son élection en 2012, malgré leurs
désaccords, notamment sur la Syrie.
D’ailleurs, Mahmoud Ahmadinejad avait été en février le premier dirigeant iranien reçu en Égypte après plus de trente ans. Les militaires n’avaient pas apprécié qu’Ahmadinejad mette en scène son rapprochement avec Le Caire qui pouvait indisposer les Américains. Les Frères musulmans avaient été jusqu’à approuver que «l'Iran était désormais un État nucléaire». Or l’inquiétude des pays arabes pour le nucléaire iranien est une constante au Proche-Orient et l'armée égyptienne ne faisait pas exception. Au Caire pour le sommet de l'Organisation de la coopération islamique (OCI), Ahmadinejad avait froissé les militaires en mettant en avant les complémentarités possibles entre l'Égypte et l'Iran, en plaidant pour un rapprochement entre pays sunnites et chiites et en dénonçant «les nombreux ennemis qui empêchent l'unité entre pays musulmans», sous-entendus les Américains et les Israéliens. L’armée n’avait pas apprécié qu’on décide sans elle un choix contestable.
D’ailleurs, Mahmoud Ahmadinejad avait été en février le premier dirigeant iranien reçu en Égypte après plus de trente ans. Les militaires n’avaient pas apprécié qu’Ahmadinejad mette en scène son rapprochement avec Le Caire qui pouvait indisposer les Américains. Les Frères musulmans avaient été jusqu’à approuver que «l'Iran était désormais un État nucléaire». Or l’inquiétude des pays arabes pour le nucléaire iranien est une constante au Proche-Orient et l'armée égyptienne ne faisait pas exception. Au Caire pour le sommet de l'Organisation de la coopération islamique (OCI), Ahmadinejad avait froissé les militaires en mettant en avant les complémentarités possibles entre l'Égypte et l'Iran, en plaidant pour un rapprochement entre pays sunnites et chiites et en dénonçant «les nombreux ennemis qui empêchent l'unité entre pays musulmans», sous-entendus les Américains et les Israéliens. L’armée n’avait pas apprécié qu’on décide sans elle un choix contestable.
Enfin les erreurs de gestion économique du pouvoir ont
été les gouttes qui ont fait déborder le vase. L’armée, étant partie prenante
à 30% dans les activités industrielles et commerciales, elle ne pouvait
accepter de voir son empire économique rogné par la crise économique. Elle a donc
poussé Morsi à réviser sa position pour donner satisfaction aux émeutiers qui
voulaient du pain et non de la religion. Elle souhaitait que l'activité économique reprenne mais mais elle n’a pas été entendue.
Mise à l’écart par un gouvernement incompétent, expert
en gesticulations stériles, l’armée n’avait donc plus qu’à aider au
renversement du président Morsi sans faire l’erreur de prendre le pouvoir confié à
des civils. Mais elle ne sera pas loin des nouveaux dirigeants qui devront
prendre la mesure de l’échec de Morsi pour ne pas rééditer les mêmes
erreurs.
`
Encore un excellent article de Monsieur Benillouche comme très souvent sur ce site.
RépondreSupprimerMerci pour toutes ces informations que l'on ne voit nulle part ailleurs.
Cdlt,
PE Spira