ISRAËL : LE TEMPS QUE DURENT LES ROSES
Par Jacques BENILLOUCHE
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Netanyahou au banc des ministres à la Knesset |
Les bons
sentiments politiques durent le temps que durent les roses ; le mur du
consensus israélien commence déjà à se lézarder, trois mois jour pour jour
après la constitution d’un gouvernement de coalition hétéroclite. Il avait fallu
près de deux mois à Benjamin Netanyahou pour parvenir à former le gouvernement
qui a prêté serment le 18 mars 2013. Sa formation avait été le résultat de
longues tractations entre le premier ministre et ses concurrents directs, le
centriste Yaïr Lapid, nouveau venu en politique, et l’homme des implantations,
le millionnaire et sioniste religieux, Naftali Bennett. Tout avait été dit sur
cette équipe à majorité laïque, franchement à droite et sceptique sur la
poursuite du processus de paix.
Le premier ministre comptait alors sur le pragmatisme des
dirigeants des partis de la coalition pour durer. Mais c’était un vœu pieux dès
lors où les partisans des implantations occupaient la plupart des postes clefs
du nouveau cabinet. Tsipi Livni, ministre de la Justice et responsable des
négociations sur la paix était la seule à n’avoir aucune réticence à engager le
dialogue avec les palestiniens. Les ambitions personnelles des jeunes loups
ont entrainé des dissensions qui s’affichent ouvertement à présent.
Le problème des implantations
Le coup d’envoi
des hostilités a été lancé par le député centriste Ofer Shelah du parti de Yesh Atid, membre de la coalition, qui a sévèrement
critiqué la politique d'Israël en Cisjordanie. Il a déclaré que les
implantations constituent un obstacle à un accord de paix : «L'occupation
corrompt la société israélienne, Tsahal, la justice israélienne, les médias
israéliens, la psychologie et le discours des israéliens. Penser que le monde
va s'habituer à cette situation est similaire à ce que les blancs étaient habitués
à dire en Afrique du Sud». La hache de guerre était ainsi déterrée sur fond
de dialectique qualifiée de gauchiste.
Danny Danon |
En écho, le ministre
de l'économie et président du Parti Habayit Hayehudi, Naftali Bennett, a
estimé que la «solution à deux États a abouti à une impasse. Il n’y a et
il n'y aura jamais d’État palestinien ici. Nous devons changer notre conception et
dire que nous sommes ici parce que c'est notre maison. Nous devons commencer à
penser à la façon dont nous devons nous conduire désormais ». Il n’est
pas le seul à s’exprimer ainsi puisque le vice-ministre de la défense, Danny
Danon, a déclaré que «le gouvernement d’Israël s’opposera à toute solution à
deux États et fera tout ce qui est en son pouvoir pour empêcher la création
d’un État palestinien». C’est tout l’échafaudage du gouvernement qui
s’effondre en quelques jours.
Cette cacophonie au sein du Cabinet est interprétée comme une
preuve de faiblesse du premier ministre qui n’arrive plus canaliser les propos
de ses ministres, à imposer sa discipline, non seulement à son gouvernement
mais aussi et surtout à son parti. Ceux qui l’approchent sont frappés par sa
métamorphose depuis les élections. Il parait fatigué sur le plan physique et
frappé de pessimisme sur le plan moral. Des indiscrétions de députés font état
de ces changements. Tels les prophètes de l’apocalypse, ses conseillers l’ont
orienté vers une description noire de la situation. Son intervention à la
commission des affaires étrangères et de la défense du Parlement a été à
l’image du contrecoup qu’il semble subir. Les députés qui l’ont écouté ont
découvert un discours «pessimiste, alarmant et ne laissant aucun espoir».
L’un des participants présents a même comparé Netanyahou «au prophète
Jérémie avertissant le peuple d’une catastrophe imminente».
Prophète Jérémie |
Risque sécuritaire faible
En fait, sauf à
être préoccupé par sa position affaiblie au sein de son parti, Netanyahou n’a
aucune raison sécuritaire d’être inquiet pour l’avenir d’Israël. En revanche et
c’est plus grave, il ne croit plus en lui et il laisse ses problèmes personnels
interférer avec ceux du pays. Il a tenu à s’adresser à la commission de la
Knesset mais la situation noire sur l’état sécuritaire du pays a étonné, sinon
choqué, car elle est démobilisatrice. Il a rappelé les milliers de roquettes et de missiles détenus par la
Syrie, le Hezbollah, l’Iran et le Hamas, tous pointés vers Israël. Il a montré son inquiétude face aux missiles
S-300 qui pourraient abattre tout avion civil décollant de l’aéroport Ben
Gourion.
Missiles S300 russes |
Il reste
inquiet par le programme nucléaire iranien, par le risque de radicalisation du
régime des Frères musulmans d’Égypte, par l’instabilité qui règne en Jordanie à
la suite du conflit syrien, par les transferts massifs d’armes de destruction
aux mains des terroristes islamistes. Il était accompagné par le nationaliste Avigdor
Lieberman qui s’est montré encore plus pessimiste que lui. Manquait à cette
réunion le «sage» Shimon Pérès, l’optimisme, l’homme qui a déjà affronté
dans le passé les nombreuses menaces existentielles contre Israël qu’il a
surmontées et qui a encore montré son dynamisme à l'occasion de la célébration de ses 90 ans.
Et pourtant de
l’avis des experts militaires internationaux, Israël n’est pas en danger, même
face à l’Iran qui semble vouloir aujourd'hui choisir la voie de la négociation depuis l'élection du
nouveau président. Le pays n’est plus encerclé par des armées menaçantes. L’armée
syrienne s’est disloquée avec le conflit qui dure depuis plus de deux ans. L’Égypte
est désorganisée pour plusieurs années à cause de ses conflits internes et de
sa crise économique. La Jordanie a demandé l’aide américaine qui campe à
l’intérieur du pays depuis que des forces armées américaines ont débarqué dans le port jordanien d'Aqaba en prélude à leur déploiement à la frontière avec la Syrie. Le Liban enfin n’arrive pas à échapper à la guerre civile
récurrente.
Quant au Hezbollah, en indélicatesse avec le gouvernement libanais, il subit des revers en Syrie qui lui minent le moral et qui lui coûtent beaucoup en matériel et en combattants qui meurent par centaines. L’armée d’Israël reste la meilleure de la région avec ses divisions blindées, ses centaines d’avions de combat, ses dizaines de drones et ses troupes d’infanterie d’élite. On exclue bien sûr son programme militaire nucléaire soumis à une censure militaire stricte.
Les cercueils du Hezbollah |
Quant au Hezbollah, en indélicatesse avec le gouvernement libanais, il subit des revers en Syrie qui lui minent le moral et qui lui coûtent beaucoup en matériel et en combattants qui meurent par centaines. L’armée d’Israël reste la meilleure de la région avec ses divisions blindées, ses centaines d’avions de combat, ses dizaines de drones et ses troupes d’infanterie d’élite. On exclue bien sûr son programme militaire nucléaire soumis à une censure militaire stricte.
Affaires
intérieures
Le pessimisme
de Netanyahou pourrait être aussi lié à l’extension d’un terrorisme dont aucun
pays n’arrive à venir à bout. Mais les troupes d’Al-Qaeda qui campent à la
frontière du Golan sont sous surveillance constante de Tsahal et de ses
satellites d’observation. Même une attaque surprise de missiles n’est pas prise
au sérieux par l’État-major qui planifie cependant cette éventualité. Les
anciens premiers ministres David Ben Gourion, Levy Eshkol, Golda Meir et
Menahem Begin ont connu des malheurs beaucoup plus conséquents qui n’ont rien
de comparable à ce que le pays traverse aujourd’hui.
En fait
Netanyahou est désabusé par les affaires intérieures du pays. Il ne tient plus
ses ministres qui à tour de rôle font des déclarations intempestives, parfois en
opposition à la stratégie du gouvernement, donnant l’impression de vouloir se
positionner déjà dans la course à la place de premier ministre. Il ne tient
plus les rênes de son propre parti, le Likoud, dont il est incapable de
désigner l’homme qui doit le diriger à ses côtés. Les militants n’hésitent plus
à le critiquer ouvertement comme s’ils s’adressaient déjà à un dirigeant en fin
de mandat. On lui conteste ouvertement son leadership. Le cas du parti Likoud
en conflit avec le premier ministre s’était déjà posé avec Ariel Sharon. Mais
fonceur comme sur un champ de bataille, l’ancien général avait résolu le
problème de manière radicale en le quittant après avoir emmené l’élite pour
créer un nouveau parti, Kadima, qui avait d’ailleurs gagné les élections au
détriment du Likoud d’alors, réduit à sa portion congrue.
Mais Netanyahou
a perdu l’âme du combat comme s’il avait déjà mené son dernier. Ses proches et
ses adversaires s’en sont rendus compte pour avoir décidé d’ouvrir les
hostilités contre une politique jugée par eux sans originalité et sans courage.
C’est le moment qu’ont choisi certains ministres pour le déstabiliser. Les déclarations à l’emporte-pièce de leaders aux
dents longues lui font presque regretter la création d’une coalition
hétéroclite qui ne veut pas signer de paix avec les palestiniens et qui semble vouloir
rompre avec les États-Unis qui les poussent aux concessions. C’est ce moment
qui a été choisi par les deux meneurs Yaïr Lapid et Naftali Bennett pour
préparer la relève, sans se soucier de l’intérêt immédiat du pays. Le canon a
tonné.
Ils lui
reprochent en coulisses de n’avoir pas été efficace en politique étrangère. Il
est vrai qu’aucun de ses actes ne marquera l’histoire de ses gouvernements. Netanyahou
sent qu’il a été doublé par Barack Obama dans le problème iranien et qu’il est
à présent trop tard pour agir sans son accord et sans son aide logistique. Il
sait qu’il a les bras liés par une coalition condamnée à l’inertie sur le
problème palestinien dès lors où les positions sont antagonistes. Pourtant
Mahmoud Abbas, sous la pression de John Kerry, avait tempéré ses conditions
consistant à imposer des préalables à la négociation qui devait se faire sur la
base des frontières de 1967 et sous réserve de l’arrêt des constructions dans
les implantations. Il a renoncé à l’une des deux conditions pour être
pragmatique.
Netanyahou n’a rien lâché avec le risque que Tsipi Livni quitte la coalition pour ne pas assister à la déroute diplomatique et au conflit ouvert avec les Américains, ouvrant ainsi la voie à de nouvelles élections. Ce sera alors l’occasion pour Yaïr Lapid et Naftali Bennett de s’écharper sur un programme antagoniste avec l’objectif d’être calife à la place du calife.
Netanyahou n’a rien lâché avec le risque que Tsipi Livni quitte la coalition pour ne pas assister à la déroute diplomatique et au conflit ouvert avec les Américains, ouvrant ainsi la voie à de nouvelles élections. Ce sera alors l’occasion pour Yaïr Lapid et Naftali Bennett de s’écharper sur un programme antagoniste avec l’objectif d’être calife à la place du calife.
Pourtant au début de son nouveau gouvernement, Netanyahou avait donné
l’impression d’avoir choisi la posture du «sage», restant au-dessus de
la mêlée politique, un peu à l’image d’un président de la Vème république. Il avait
choisi de s’occuper des problèmes militaires, avec les prises de décisions
cruciales sur la Syrie et le Hezbollah, et des questions de politique
étrangère. Accusé dans le passé de gesticulations stériles, il s'était dicté
une meilleure attitude pour neutraliser les deux bouillants «jeunes»,
Yaïr Lapid et Naftali Bennett, qui veulent suivre sa trajectoire politique. Le
gouvernement a donné réellement l’impression de travailler dans la sérénité,
hors des débats foireux, laissant au premier ministre le soin de distribuer les
bons et les mauvais points ou les mises en garde. Mais le consensus a duré
juste le temps que durent les roses.
RépondreSupprimerCher monsieur Benillouche,
Que voilà un article... morose !
Bien sûr toutes vos critiques de la politique de votre pays sont acceptables. Mais il n'en va autrement dans pratiquement aucune démocratie occidentale.
Croyez-vous qu'on ne puisse pas faire le même genre d'article sur la politique française où, au bout d'à peine un an, il y avait déjà 74% de mécontents ?
Or malgré tous les défauts que vous avez répertoriés, sachez que les peuples d'Europe, et le peuple français en particulier, ont les yeux tournés vers Israël.
Quand nous constatons que chez nous, le gouvernement n'ose pas s'attaquer à quelques dizaines de djihadistes dûment signalés et répertoriés avant qu'ils n'aient commis l'irréparable, nous nous demandons comme le gouvernement israélien s'y prend pour protéger son peuple.
Nous nous demandons où le peuple israélien puise cette force morale qui le fait résister depuis plus de soixante ans, petite démocratie de quelques millions d'individus, noyée au milieu d'un milliard d'Arabes hostiles.
Très cordialement.
Chère Marianne,
RépondreSupprimerIsraël ne peut pas se prêter aux fantaisies des grands pays. Il est entouré de pays hostiles qui ne parviennent toujours pas à accepter sa présence au Proche-Orient. Donc les israéliens doivent rester unis et laisser leurs ambitions personnelles au vestiaire. Qu’ils prennent exemple sur les Grands qui ont fait l’État.
Pas d'accord du tout sur l'analyse prévoyant la dislocation de la majorité . Il y a des sensibilités différentes qui ont le droit et surtout le devoir de s'exprimer .Décider que les roses " ont dessus la table, leur beauté laissée choir ", c'est anticiper la fin de la coalition qui n'est pas du tout a l'ordre du jour.
RépondreSupprimerAndré M
@André M.
RépondreSupprimerIl faut lire l’article sans le dénaturer et surtout sans l’interpréter. La politique est déjà suffisamment compliquée comme cela.
Dès le début de l’article j’ai écrit : «Les bons sentiments politiques durent le temps que durent les roses ; le mur du consensus israélien commence déjà à se lézarder, trois mois jour pour jour après la constitution d’un gouvernement de coalition hétéroclite».
L’absence de consensus est attestée par des déclarations officielles et non par des hypothèses. En revanche je n’ai jamais «anticipé la fin de la coalition». C’est une décision qui appartient aux dirigeants politiques et non aux journalistes.
Mais dans un pays démocratique il est normal de soulever des faits avérés sans être accusé de mauvais augure.