LA TUNISIE EST GANGRÉNÉE PAR LES SALAFISTES
Par
Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps
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Chokri Belaïd |
Chokri Belaïd, homme politique et avocat tunisien défenseur
des droits de l'homme, avait souvent plaidé dans les procès politiques sous
le régime de Ben Ali. Il a été assassiné par balles, le 6 février 2013, alors qu'il sortait
en voiture de son domicile du quartier chic d'El Menzah. Son assassinat avait alors
provoqué des manifestations violentes et la plus grave crise gouvernementale
depuis la révolution de 2011.
Arrestation de l’assassin
Selon une
source policière à Tunis, Kamel Gadghadi, l'assassin présumé de l'opposant
Chokri Belaïd a été arrêté le 2 mai à l’aube. Son arrestation vient d'être
confirmée et le suspect se trouve actuellement dans les locaux de la Brigade
Criminelle de Ghorjeni à Tunis. Il a été déféré devant un juge d’instruction.
On vient d’apprendre que le suspect appartenait à la mouvance radicale
salafiste et que son arrestation avait été la conséquence du témoignage d'une
femme qui a été placée sous protection policière.
Salafistes tunisiens |
Kamel Gadghadi faisait
partie de manière active de la Ligue de protection de la révolution (LPR),
milice pro-islamique aux méthodes musclées, au Kram, banlieue populaire de
Tunis proche de Carthage. Il aurait
exécuté Chokri Belaïd sur ordre, à la suite d’une fatwa qui appelait à éliminer
cet opposant dirigeant du Front populaire, un regroupement de partis de gauche
et nationalistes. Les autorités tunisiennes refusent pour l’instant de
communiquer sur cette arrestation.
Cet acte
dramatique commandé démontre l’implication de plus en plus voyante des djihadistes en
Tunisie. Très discrets au moment de la révolution de 2011, ils ont décidé de
passer à l’action terroriste et à la guérilla contre les forces de sécurité qui
semblent désemparées devant une violence à laquelle elles n’étaient pas
préparées. Un islamiste avait été tué lors d’affrontements déclenchés par une
attaque contre un poste de police à Hergla (centre-est). Plusieurs autres postes
de police avaient été attaqués.
Des
combattants aguerris
La Tunisie est confrontée à l’essor de
groupuscules islamistes. Plus de cinquante combattants se sont regroupés et
retranchés sur le mont Chaambi dans l’ouest tunisien à une vingtaine de
kilomètres de la ville de Kasserine, près de la frontière algérienne. Ils se
gardent ainsi une possibilité de repli auprès de l’émir suprême d'Aqmi
(Al-Qaïda au Maghreb islamique) Abdelmalek Droukdel, réfugié dans le djebel
algérien.
Abdelmalek Droukdel |
Le gouvernement
tunisien a décidé de trancher dans le vif une situation qui s’est aggravée
depuis la révolution. Le groupe salafiste, composé à l’origine d’une dizaine de
combattants djihadistes, a prospéré pour compter aujourd’hui plus de cent éléments
bien armés, certains vétérans venus directement du nord Mali. Ils n’hésitent
plus à affronter les forces de sécurité puisqu’ils ont réussi à tuer un garde
national à Bou Chebka à la frontière. Les salafistes ont organisé leur repaire du
mont Chaambi comme un véritable camp retranché protégé par des mines aux
alentours.
Soldat tunisien au mont Chaambi |
Les militaires et les gendarmes, mal entrainés, qui tentent de les
déloger ne disposent pas d’équipements nécessaires pour faire face à des
combattants aguerris dans d’autres théâtres d’opérations. Des témoins racontent
que ces djihadistes semblent chez eux dans leur village disposant de structures militaires et de camps d’entrainement. La population locale, par crainte ou par
conviction, leur apporte un soutien matériel et logistique.
Par crainte d’un
coup d’État sous les régimes de Bourguiba et Ben Ali, les forces tunisiennes
ont volontairement été démunies en armement, en blindés et en matériel de haute
technologie. Elles ont toujours été les
parents pauvres des régimes. Les causes remontent à l'année 1962. En effet, sur des informations transmises par le
Mossad depuis Paris, Habib Bourguiba avait été informé en décembre 1962 d’un projet
d'attentat et de renversement de son régime par d'anciens résistants et militaires. Ce
projet avorté avait entrainé l'exécution de onze des conjurés dont plusieurs
hauts officiers. L’armée est donc restée délibérément sous-équipée pour ne pas susciter d'ambitions parmi ses chefs. Contrairement aux
autres pays africains, elle n’a jamais joué de rôle sécuritaire qui a été confié aux
milices des régimes déchus.
L’armée ne
dispose pas de forces spécialisées dans la lutte antiterroriste, équipées de
matériel leur permettant l’accès aux zones montagneuses. Jusqu’alors, les
salafistes étaient traités de criminels de droit commun dont la responsabilité
restait du domaine de la police. Mais ces combattants entrainés représentent aujourd’hui
un danger pour le régime islamique proche des Frères musulmans. C’est là qu’apparait
la différence fondamentale dans l’idéologie des Frères, proches du parti Ennahda au pouvoir, qui veulent islamiser le
pays depuis le sommet, de préférence de manière démocratique. En revanche, les salafistes
veulent parvenir aux mêmes fins mais à partir de la base, en développant leur
action au travers des populations des villages, en gangrénant progressivement le paysage où ils s’installent.
Ainsi, les salafistes ont abandonné les actions de rues
et l’attaque de bâtiments publics pour se concentrer sur des opérations militaires
de guérilla. L’expérience du Mali les a convaincus de la nécessité d’un
changement de stratégie. Les armes fournies par Al-Qaeda en provenance des
arsenaux du colonel Kadhafi circulent presque librement en Tunisie tant les
moyens militaires sont faibles pour les intercepter. Le trafic d'armes est en plein essor dans la
région depuis la chute des régimes de Kadhafi et de Ben Ali. Aidés par les sermons
des prédicateurs qui prônent la guerre sainte, ils trouvent un écho favorable auprès
des populations déçues par l’inertie d’un gouvernement empêtré dans une crise politique interminable
et qui n’a toujours pas défini sa stratégie politique claire.
La
révolution tunisienne de 2011, qui avait ouvert beaucoup d’espoir auprès de
ceux qui voulaient remplacer la dictature par une démocratie moderne, est en
train de muter vers une dictature beaucoup plus sanglante à base de salafisme
anachronique.
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