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vendredi 8 février 2013

LA TUNISIE À L’IMAGE DE LA DÉMOCRATIE ARABE



LA TUNISIE À L’IMAGE DE LA DÉMOCRATIE ARABE

Par Jacques BENILLOUCHE


copyright © Temps et Contretemps    
       
Salafistes tunisiens
           Il faut se rendre à l’évidence que les pays arabes ne sont pas encore mûrs pour la démocratie. Ils ont failli sur tous les tableaux et à toutes les époques. Ils ont obtenu leur indépendance, souvent au prix d’un combat inégal et sanglant contre l’occupant colonialiste. Mais ils n’ont rien appris de ce combat qui aurait dû les pousser à partager le pouvoir dont ils ont été écartés pendant des dizaines d’années et à développer une démocratie dont ils ont été privés. 
        Ils ont préféré adopter la politique  des balles qui sifflent. Aucun État musulman ou arabe n’est parvenu à se hisser au rang d’une démocratie moderne, à l’exception de la Turquie de Mustapha Kemal Atatürk qui connait à nouveau, aujourd’hui, les dérives dictatoriales. 


Mémoire courte

Ferhat Hached
            La Tunisie avait été considérée, un certain temps, comme faisant exception mais les mémoires sont courtes car on ne voulait garder que les images idylliques du tourisme, des belles plages et du soleil alors qu’elle n’a connu, depuis l’indépendance, que les rivalités politiques poussées au paroxysme. La politique du coup de feu a accompagné les premiers jours de l’indépendance. Farhat Hached, dirigeant et fondateur de l’UGTT (Union Générale Tunisienne du Travail), fut assassiné le 5 décembre 1952 alors que la Tunisie était encore un protectorat français. Il était certes l’homme à abattre en raison de son combat nationaliste  qui ciblait l’autorité française de tutelle. Le meurtre a été attribué à des activistes français de  l’organisation terroriste «La main rouge», mais des zones d’ombre demeurent, en particulier pour ce qui est de l’implication possible de l’entourage même de Bourguiba.  En effet, Ferhat Hached, devenu très populaire, commençait à faire de l’ombre au «combattant suprême». 
Ben Youssef et Bourguiba en 1955

            L’assassinat a fait partie de la culture tunisienne. Salah Ben Youssef fut l'un des principaux chefs de file du mouvement national tunisien et du panarabisme en Tunisie. Il voulait s’éloigner de l’occident et se rapprocher des pays arabes. Lieutenant et ami du président tunisien il devient son ennemi irréductible parce qu’il accusait Bourguiba de pratiquer une «politique de reniement et de trahison» à l'égard du peuple tunisien et de la révolution algérienne. À deux reprises, en janvier 1957 et en novembre 1958, Ben Youssef fut condamné à la peine de mort mais il avait réussi à s’enfuir. Il a été assassiné dans un hôtel de Francfort-sur-le-Main en Allemagne, 12 août 1961, où l'attendaient deux de ses compatriotes censés lui proposer un projet de coup d’État contre Bourguiba. Des sources publiées ont avancé les noms des protagonistes de son élimination, faisant partie de l’entourage direct de Bourguiba. Les deux tueurs l’ont piégé dans son hôtel et l’ont abattu à bout portant sans lui laisser de chance.
Méthode mafieuse

Chokri Belaïd
            Un mode opératoire identique a été choisi pour assassiner Chokri Belaïd,  à la manière des contrats mafieux, le jour même où, par un concours de circonstance, un avion baptisé Farhat Hached  dérapait à l’aéroport  Tunis-Carthage. Le chef du parti d’opposition, Patriotes démocrates, a été abattu, devant son domicile, de trois balles dans la tête. Son frère accuse le parti islamiste Ennahda  d’être le commanditaire de cette élimination.
            Ce crime ne nous étonne pas puisque Karim Zmerli nous avait informés, dès le 24 décembre 2012 dans un article de Tunisie-Secret, de l’ordre donné par Rached Ghanouchi d’éliminer quatre personnalités gênantes tunisiennes dont les noms ont été publiés et qui représentent des concurrents sérieux du pouvoir en place.  Des doutes avaient été émis sur ces informations non recoupées qui pourtant se sont avérées justes. Cette technique de recourir à la violence pour garder le pouvoir est la signature des méthodes islamistes. L’assassinat de Chokri Belaïd a été vécu en direct par Nadia Daoued, journaliste et voisine de la victime, qui révèle qu’une minute avant le meurtre, un comparse avait murmuré quelques mots au chauffeur de Chokri Belaïd quelques instants avant l’arrivée de deux tueurs en moto. Quatre balles tirées à bout portant ont fait leur sanglante œuvre.
Ghanouchi leader de Ennahda
            En octobre 2012, Lotfi Nakdh, président de l’union régionale des agriculteurs, et coordinateur du mouvement Nida Tounes à Tataouine, a trouvé la mort. Le médecin légiste a conclu à une mort par crise cardiaque alors que Nida Tounes : « qualifie sa mort de meurtre et tient pour responsables le ministère de l’intérieur et Ennahda et ses partisans ».  
L’ancien ministre de Béji Caïd Essebsi, Lazhar Akremi, a confirmé que cet acte était un assassinat politique qui fait suite à une série de menaces et d’agressions contre les militants de Nidaa Tounes. Il s’est étonné de la version avancée. Il estime que, devant les échecs des islamistes au pouvoir, leur seule solution pour écarter les concurrents est d’user de la peur pour neutraliser la résistance. En Égypte ou en Tunisie, les islamistes ont été peu vus au premier rang des révolutionnaires du printemps arabe mais ils se sont approprié les bénéfices de la chute du pouvoir des dictateurs car ils constituaient l’organisation de l’ombre la mieux structurée. Mais cette révolution a libéré la parole des citoyens qui n’acceptent pas qu’on leur vole le résultat de leur combat. Les islamistes au pouvoir ont échoué dans leur choix économique et politique ; ils ont mené les pays à la ruine en s’intéressant uniquement aux aspects religieux du pouvoir pour instaurer la charia dans des pays qui en sont fortement opposés.

Menace et violence
Dérapage d'un avion à Tunis-Carthage

Alors, il n’est plus question de démocratie quand le feu couve sous les braises d’un printemps maudit. Mais les islamistes ont volé le pouvoir et ils ne le laisseront plus, quitte à user de la force et de la violence au risque de conduire le pays vers une guerre civile. Les opposants craignent à présent d’autres assassinats ou des attentats visant des cibles de l’opposition car la peur doit éliminer les concurrents sérieux lors des prochaines élections afin de garantir l’islamisation irréversible de la Tunisie.      
            Tunisie et Égypte  ont connu des révolutions qui devaient les libérer du joug des dictateurs  mais qui les ont conduits vers une dérive islamiste, une dictature implacable plus féroce. Il est acquis à présent que la démocratie ne fait pas partie de la culture arabe ou musulmane car les peuples ont tendance à rechercher la facilité en laissant les autres, si ce n’est la religion, de décider pour eux. Les islamistes se montrent vrais démocrates lorsqu’ils sont dans l’opposition. Ils se plient alors aux règles et respectent les institutions dans le seul but de parvenir au pouvoir. Mais dès qu’ils l’ont obtenu et qu’ils s’élèvent au sommet, ils se comportent en fossoyeurs de la démocratie, parfois brutalement comme en Iran, mais souvent sournoisement comme en Égypte et en Turquie, pour ne pas brusquer les corps constitués.  Or l’islam est opposé à la démocratie car il repose sur la prépondérance du sacré sur les hommes et fonde son principe absolu qu'en dehors des vertus religieuses, il ne peut y avoir de morale ni de salut.
Manifestation des femmes tunisiennes
            La Tunisie entre dans une période de turbulences qui précède des élections dont la sincérité du scrutin suscite le doute. Les inconditionnels et les amoureux de la Tunisie en seront pour leurs frais. Le meurtre deviendra le langage politique le plus approprié à la situation de crise qui perdure et qui entrainera le pays vers un gouffre économique.  Le rêve devient alors implacable car les déceptions seront plus fortes.

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