LA TUNISIE
À L’IMAGE DE LA DÉMOCRATIE ARABE
Par Jacques BENILLOUCHE
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Salafistes tunisiens |
Ils ont préféré adopter la politique des balles qui sifflent. Aucun État musulman ou arabe n’est parvenu à se hisser au rang d’une démocratie moderne, à l’exception de la Turquie de Mustapha Kemal Atatürk qui connait à nouveau, aujourd’hui, les dérives dictatoriales.
La Tunisie avait été considérée, un
certain temps, comme faisant exception mais les mémoires sont courtes car on ne
voulait garder que les images idylliques du tourisme, des belles plages et du
soleil alors qu’elle n’a connu, depuis l’indépendance, que les rivalités
politiques poussées au paroxysme. La politique du coup de feu a accompagné les
premiers jours de l’indépendance. Farhat Hached, dirigeant et fondateur de
l’UGTT (Union Générale Tunisienne du Travail), fut assassiné le 5 décembre 1952
alors que la Tunisie était encore un protectorat français. Il était certes
l’homme à abattre en raison de son combat nationaliste qui ciblait l’autorité française de tutelle.
Le meurtre a été attribué à des activistes français de l’organisation
terroriste «La main rouge», mais des zones d’ombre demeurent, en
particulier pour ce qui est de l’implication possible de l’entourage même de
Bourguiba. En effet, Ferhat Hached,
devenu très populaire, commençait à faire de l’ombre au «combattant
suprême».
Ben Youssef et Bourguiba en 1955 |
L’assassinat a fait
partie de la culture tunisienne. Salah Ben Youssef fut l'un des principaux
chefs de file du mouvement national tunisien et du panarabisme en Tunisie. Il
voulait s’éloigner de l’occident et se rapprocher des pays arabes. Lieutenant
et ami du président tunisien il devient son ennemi irréductible parce qu’il
accusait Bourguiba de pratiquer une «politique de reniement et de trahison»
à l'égard du peuple tunisien et de la révolution algérienne. À deux reprises,
en janvier 1957 et en novembre 1958, Ben Youssef fut condamné à la peine de
mort mais il avait réussi à s’enfuir. Il a été assassiné dans un hôtel de Francfort-sur-le-Main en Allemagne,
12 août 1961, où l'attendaient deux de ses compatriotes censés lui proposer un
projet de coup d’État contre Bourguiba. Des sources publiées ont avancé les
noms des protagonistes de son élimination, faisant partie de l’entourage direct
de Bourguiba. Les deux tueurs l’ont piégé dans son hôtel et l’ont abattu à bout
portant sans lui laisser de chance.
Un mode opératoire identique a été
choisi pour assassiner Chokri Belaïd, à
la manière des contrats mafieux, le jour même où, par un concours de
circonstance, un avion baptisé Farhat Hached
dérapait à l’aéroport
Tunis-Carthage. Le chef du parti d’opposition, Patriotes démocrates,
a été abattu, devant son domicile, de trois balles dans la tête. Son frère
accuse le parti islamiste Ennahda d’être
le commanditaire de cette élimination.
Ce crime ne nous étonne pas puisque Karim
Zmerli nous avait informés, dès le 24 décembre 2012 dans un article de Tunisie-Secret,
de l’ordre donné par Rached Ghanouchi d’éliminer quatre personnalités gênantes
tunisiennes dont les noms ont été publiés et qui représentent des concurrents
sérieux du pouvoir en place. Des doutes
avaient été émis sur ces informations non recoupées qui pourtant se sont
avérées justes. Cette technique de recourir à la violence pour garder le
pouvoir est la signature des méthodes islamistes. L’assassinat de Chokri Belaïd
a été vécu en direct par Nadia Daoued, journaliste et voisine de la victime,
qui révèle qu’une minute avant le meurtre, un comparse avait murmuré quelques
mots au chauffeur de Chokri Belaïd quelques instants avant l’arrivée de deux tueurs
en moto. Quatre balles tirées à bout portant ont fait leur sanglante œuvre.
Ghanouchi leader de Ennahda |
En octobre 2012, Lotfi Nakdh,
président de l’union régionale des agriculteurs, et coordinateur du mouvement
Nida Tounes à Tataouine, a trouvé la mort. Le médecin légiste a conclu à une
mort par crise cardiaque alors que Nida Tounes : « qualifie sa mort
de meurtre et tient pour responsables le ministère de l’intérieur et Ennahda et
ses partisans ».
L’ancien
ministre de Béji Caïd Essebsi, Lazhar Akremi, a confirmé que cet acte était un
assassinat politique qui fait suite à une série de menaces et d’agressions
contre les militants de Nidaa Tounes. Il s’est étonné de la version avancée. Il
estime que, devant les échecs des islamistes au pouvoir, leur seule solution
pour écarter les concurrents est d’user de la peur pour neutraliser la
résistance. En Égypte ou en Tunisie, les islamistes ont été peu vus au premier
rang des révolutionnaires du printemps arabe mais ils se sont approprié les bénéfices
de la chute du pouvoir des dictateurs car ils constituaient l’organisation de l’ombre
la mieux structurée. Mais cette révolution a libéré la parole des citoyens qui
n’acceptent pas qu’on leur vole le résultat de leur combat. Les islamistes au
pouvoir ont échoué dans leur choix économique et politique ; ils ont mené
les pays à la ruine en s’intéressant uniquement aux aspects religieux du
pouvoir pour instaurer la charia dans des pays qui en sont fortement opposés.
Menace et violence
Alors,
il n’est plus question de démocratie quand le feu couve sous les braises d’un
printemps maudit. Mais les islamistes ont volé le pouvoir et ils ne le
laisseront plus, quitte à user de la force et de la violence au risque de
conduire le pays vers une guerre civile. Les opposants craignent à présent
d’autres assassinats ou des attentats visant des cibles de l’opposition car la peur
doit éliminer les concurrents sérieux lors des prochaines élections afin de
garantir l’islamisation irréversible de la Tunisie.
Tunisie et Égypte ont connu des révolutions qui devaient les
libérer du joug des dictateurs mais qui
les ont conduits vers une dérive islamiste, une dictature implacable plus
féroce. Il est acquis à présent que la démocratie ne fait pas partie de la
culture arabe ou musulmane car les peuples ont tendance à rechercher la
facilité en laissant les autres, si ce n’est la religion, de décider pour eux. Les
islamistes se montrent vrais démocrates lorsqu’ils sont dans l’opposition. Ils
se plient alors aux règles et respectent les institutions dans le seul but de
parvenir au pouvoir. Mais dès qu’ils l’ont obtenu et qu’ils s’élèvent au
sommet, ils se comportent en fossoyeurs de la démocratie, parfois brutalement
comme en Iran, mais souvent sournoisement comme en Égypte et en Turquie, pour
ne pas brusquer les corps constitués. Or
l’islam est opposé à la démocratie car il repose sur la prépondérance du sacré
sur les hommes et fonde son principe absolu qu'en dehors des vertus
religieuses, il ne peut y avoir de morale ni de salut.
Manifestation des femmes tunisiennes |
La Tunisie entre
dans une période de turbulences qui précède des élections dont la sincérité du
scrutin suscite le doute. Les inconditionnels et les amoureux de la Tunisie en
seront pour leurs frais. Le meurtre deviendra le langage politique le plus
approprié à la situation de crise qui perdure et qui entrainera le pays vers un
gouffre économique. Le rêve devient alors
implacable car les déceptions seront plus fortes.
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