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jeudi 10 janvier 2013

SLATE : APRÈS ISRAËL, LA SYRIE JOUE AUJOURD'HUI LA CARTE KURDE



SLATE : APRÈS ISRAËL, LA SYRIE JOUE AUJOURD'HUI LA CARTE KURDE
Par Jacques BENILLOUCHE
copyright ©  Temps et Contretemps
 

Cet article avait été publié dans Slate le 4 août 2012. Il revient à la une de l’actualité à la suite de l’assassinat à Paris de trois femmes kurdes  tuées d'une balle dans la tête, dans la nuit du 9 au 10 janvier 2013, au centre d'information du Kurdistan, rue Lafayette.

L'ennemi de mon ennemi est mon ami. Jérusalem et aujourd'hui Damas s'inspirent de cet adage et soutiennent le nationalisme kurde contre la Turquie.
 Des combattantes kurdes à l'entraînement



Les kurdes sont un peuple d'origine indo-européenne réparti dans la  région du Kurdistan, à cheval pour son malheur sur quatre pays puissants: la Turquie (12 millions), l'Iran (7 millions), l'Irak (6 millions) et la Syrie (2 millions). Ils se battent depuis des décennies pour obtenir une indépendance légale ou au moins, une autonomie et des droits culturels dans la région où ils vivent et s'opposent ou se sont opposés ainsi directement à l'Irak, l'Iran et surtout la Turquie. Ils sont ainsi devenus une carte pour les adversaires de la politique turque: Israéliens depuis quelques mois et aujourd'hui syriens.
C'est le coup de froid en 2010 entre la Turquie et Israël qui a fait changer d'attitude et même d'alliance à l'État hébreu. Quand en juin 2010, ces mêmes kurdes avaient été pris dans un étau turco-syrien et avaient subi la destruction de quatre villes du nord, entrainant la mort de plusieurs centaines d’entre eux. Ni Israël, ni l’occident n’avaient réagi.
Mais lorsque les relations avec Tayyip Erdogan ont été rompues et que la Turquie a changé d'alliance et est devenue clairement hostile et agressive envers Israël, les Israéliens ne se sont pas privés de montrer leur pouvoir de nuisance et ont commencé à soutenir matériellement les groupes d’opposants qui n’ont pourtant pas toujours été les amis de l’État juif. Le Mossad avait ainsi été accusé d’avoir participé à l’enlèvement d’Abdullah Öcalan, leader du PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan), à Nairobi en 1998. Les israéliens n’avaient pas alors apprécié qu’Öcalan s’allie soudain avec le Hezbollah et la Syrie contre Israël et contre les kurdes. Ils avaient aussi rendu service à leur allié turc.
Au Proche-Orient, les désalliances et alliances se font très vite. Des instructeurs israéliens avec du matériel israélien opèrent maintenant aujourd'hui au Kurdistan irakien à la fois contre l'Iran et contre la Turquie. Pour faire face aux attaques du PKK, l’armée turque a même demandé à son gouvernement de nouveaux matériels notamment israéliens comme des roquettes antichars «Spike», des missiles «Barak-8» pour la marine et des blindés «Namer» pour le transport de troupes. Mais la rupture entre Jérusalem et Ankara a rendu cela impossible. C'est précisément ce que cherchait Benjamin Netanyahou. Montrer à Ankara que son hostilité envers Israël a un prix.

L'ennemi de mon ennemi...

En fait, les relations entre Israël et les kurdes sont anciennes: elles datent de 1958. Dans le cadre d’une alliance avec le Shah d’Iran, Israël avait alors armé et entrainé les kurdes du nord de l’Irak pour les aider dans leur lutte contre le gouvernement de Bagdad. Le soutien, limité à l’origine, devait se transformer, en 1963, en aide massive acheminée par l’intermédiaire de l’Iran et en envoi de conseillers techniques militaires. Les officiers kurdes reçurent directement, dans les montagnes du Kurdistan, des cours dispensés par des officiers israéliens.
Les kurdes se sont montrés reconnaissants en 1967, durant la Guerre de Six-Jours, puisqu’ils s’étaient révoltés contre l’Irak pour empêcher l'armée irakienne de participer activement à la guerre contre Israël. En remerciement, l’État juif avait équipé les kurdes avec tout le matériel russe récupéré après la guerre, sur les armées égyptienne et syrienne. C'était il y a 45 ans...

La Syrie entre dans le jeu

C'est maintenant au tour de Bachar el-Assad de chercher à exploiter le conflit entre la Turquie et le PKK pour sauver son régime. Le président syrien a décidé d’utiliser les troupes kurdes contre Erdogan en les laissant passer en masse depuis l’Irak pour venir consolider les positions de rebelles kurdes déjà installés au nord de la Syrie. Il les a même autorisés à opérer le long de la frontière turque.
Le président syrien a ainsi évité que la minorité kurde du nord de la Syrie rejoigne la rébellion syrienne et a même pu, au cours des derniers jours, récupérer ses troupes du nord devenues inutiles pour les envoyer consolider le front sud et combattre à Damas et Alep. Enfin, il a créé un nouveau point de fixation contre la Turquie qui doit faire face à une nouvelle menace à sa frontière méridionale.
Selon des sources sécuritaires israéliennes, les troupes du nouveau «Conseil Suprême Kurde», qui ont uni leurs combattants et leur armement, ont déjà pris le contrôle de deux villes frontalières syro-turques: Afrin et Aïn Al-Arab. Elles ont maintenant la possibilité de lancer des raids contre la Turquie et de rêver à l’autonomie du Kurdistan syrien. Le peuple kurde peut espérer exploiter la révolution syrienne à son profit.
Paradoxalement, les israéliens et les syriens ont aujourd'hui des intérêts presque communs. Ils verraient les uns et les autres avec intérêt la création d’un foyer national kurde autonome. Cet embryon d'État se constituerait forcément au détriment de la Turquie et de l'Iran. 


 

 

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