LES ÉLECTIONS ISRAÉLIENNES
6/ LES ORTHODOXES EN
EMBUSCADE
Par Jacques BENILLOUCHE
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Dhéry, Ishaï et Baroukh Abouhatzera |
Tsipi Livni,
arrivée en tête des élections de 2009, n’avait pas été choisie pour constituer
un gouvernement parce qu’une majorité de députés, 65 députés sur 120, avait confirmé
au chef de l’État que Benjamin Netanyahou, allié des orthodoxes, était leur
préféré. Le premier ministre désigné se targuait de pouvoir prêter serment dans
la semaine suivant les élections. Tout paraissait alors facile mais c’était
sans compter sur la versatilité des partis religieux et sur leur capacité de
marchandage.
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Tsipi Livni arrivée en tête en 2009 |
Les intenses négociations qui ont duré plus d’un mois n’avaient pas
permis de mettre en place un gouvernement dans les délais impartis malgré une
majorité confortable. Netanyahou s’était donc trouvé contraint de réclamer au
président de l’État un délai supplémentaire qui augurait mal de la difficulté à
diriger ses troupes. Il n’était pas au bout de ses peines puisqu’il a dû
dissoudre la Knesset, avant le terme normal, quelques années plus tard pour des
divergences sur le budget 2013.
Dispersion des voix
La
proportionnelle intégrale en Israël parsème les voix entre plus de trente
listes et le résultat rend le pays ingouvernable faute d'une majorité claire. Les partis religieux
orthodoxes, séfarade et ashkénaze, forts de leur statut de partis charnières, usent
de surenchère sans se soucier de l’intérêt général du pays. Ils ont ainsi
préféré ne pas faire l’économie d’élections législatives anticipées qui
d’ailleurs ne résoudront rien. Leurs exigences surévaluées ne cadrent pas avec leur
poids politique réel.
Mis à part le parti Habayit Hayehudi (Foyer juif) de Naftali Bennet,
sioniste religieux pragmatique à l’idéologie moderne, une quinzaine de
députés sont en passe de rejoindre une alliance hétéroclite marquée par le
poids des extrêmes. Ils dicteront ainsi leur loi avec des revendications qui
n’ont rien de politiques mais uniquement sectorielles pour ne pas dire religieuses.
Doublés sur leurs terres par «Le Foyer juif», Shass et Judaïsme unifié
de la Torah en sont aujourd’hui à proposer leurs services à la gauche ce qui
démontre leur versatilité et la légèreté de leurs convictions. Ils sont prêts à cohabiter avec la secrétaire du parti travailliste alors, que par sectarisme, ils refusent aux femmes de figurer sur leurs listes.
A bout d’arguments
devant la fuite de ses électeurs vers le «Foyer juif», le Shass est
réduit à réveiller les démons de la lutte communautaire anachronique, entre séfarades
et ashkénazes, des années 1970. Cette dichotomie existe certes chez les
orthodoxes puisqu’ils ont constitué deux partis distincts mais dans l’Israël d’aujourd’hui,
les communautés sont totalement imbriquées pour ne plus songer à cette triste
mais réelle période où les juifs avaient apporté avec eux les conflits résiduels
de la diaspora.
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Naftali Bennet en meeting |
La culture
politique des orthodoxes s’arrête à l’octroi de fonds qui puissent leur permettre de faire
vivre leurs écoles talmudiques fréquentées par des élèves totalement pris en
charge financièrement qui échapperont au service militaire. Ils ne répugnent
pas à favoriser l’émergence de jeunes oisifs, certains à l’instar du rabbin
Haïm Amsallem diront parasites, étudiant
les textes sacrés à longueur de journée, loin de la réalité du pays, loin du
modernisme et dans un anachronisme inquiétant. Nombreux sont les jeunes qui rejoignent
ces "refuges" dans le seul but d’échapper au service militaire national alors que seule une poignée d'entre eux dispose des qualités pour devenir de bons talmudistes.
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Yeshiva, école talmudique |
A priori, les
sondages ne prévoient pas le nombre de sièges espérés par Netanyahou, 33/35 aux dernières
estimations. Il sera contraint de procéder à des «combinazioni», avec le
risque de se trouver ainsi pieds et poings liés avec des religieux dont
la culture politique s’arrête à l’entrée des synagogues et dont les thèses
extrémistes sont dévoyées au nom de la loi religieuse. Alors que le pays est en
majorité laïc et que sont nombreux ceux qui ne supportent pas la chape imposée
par les rabbins, le premier ministre devra faire acte d’allégeance à des orthodoxes
de plus en plus exigeants. Les israéliens s’inquiètent de la part de plus en
plus envahissante prise par la religion dans les instances dirigeantes.
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Manifestation contre le service militaire |
Déviation antisioniste
Tsipi Livni
avait déjà compris cette dialectique puisqu’elle avait renoncé au poste de chef
du gouvernement pour ne pas vendre son âme. Elle avait surtout réalisé, en tant
qu’héritière d’une famille profondément sioniste, qu’elle ne pouvait pas accepter
la déviation antisioniste d’une partie d’entre eux. En effet les orthodoxes
séfarades ne constituent pas un bloc monolithique et certains parmi eux défendent un judaïsme de cœur très attaché au
culte des Sages et à forte composante mystique, voire cabaliste. Ces derniers
sont actifs dans la société et parmi les jeunes en proie au doute mais ils
utilisent les voies politiques pour diffuser leurs idées.
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Prière juive pour l'Etat français |
Elle avait
refusé de s’allier à cette tendance du judaïsme orthodoxe séfarade car ses
membres virent de plus en plus vers un antisionisme virulent. «Lorsque l’Etat d’Israël reviendra à la Torah, nous célébrerons le
Jour de l’Indépendance» se plaisent
à affirmer ces nouveaux adeptes des livres sacrés qui semblent vouloir renier
l’histoire moderne d’Israël. Les livres de prières ont été modifiés pour
soustraire aux fidèles le symbole même de l’Etat. Ainsi la bénédiction
traditionnelle, faite dans toutes les synagogues du monde pour bénir l’État dans
lequel vivent les fidèles juifs, a été purement et simplement supprimée de la liturgie
séfarade orthodoxe en Israël. Celle relative à l’intouchable Tsahal a été modifiée
insidieusement pour supprimer toute référence à l’armée, symbole de l’Etat.
Dieu ne bénit plus «les soldats de
l’armée de défense d’Israël» mais il bénit «les soldats d’Israël», formule ne faisant plus référence à l’existence
d’un État.
S’allier au diable
Netanyahou n’a
pas les mêmes réserves que Livni et, pour gouverner, il est prêt à s’allier au
diable, s’il le faut. Pour donner une majorité à sa coalition, il pourrait ainsi
accepter toutes les concessions imposées d’abord par l’extrême droite puis par
les partis religieux orthodoxes jusqu’à augmenter le nombre de ministères afin
de satisfaire toutes les ambitions ministérielles.
Mais en choisissant des alliés aussi instables, qui monnayent leur participation au prix fort et qui quitteront au pied levé la coalition pour un simple refus de subvention ou par volonté conservatrice de maintenir les aspects religieux de certaines lois régissant le code civil ou l’armée, il sait pertinemment que son gouvernement sera de transition et à durée de vie limitée. A moins d’un changement du système électoral supprimant la proportionnelle intégrale, de nouvelles élections stériles interviendront dans quelques mois.
Mais en choisissant des alliés aussi instables, qui monnayent leur participation au prix fort et qui quitteront au pied levé la coalition pour un simple refus de subvention ou par volonté conservatrice de maintenir les aspects religieux de certaines lois régissant le code civil ou l’armée, il sait pertinemment que son gouvernement sera de transition et à durée de vie limitée. A moins d’un changement du système électoral supprimant la proportionnelle intégrale, de nouvelles élections stériles interviendront dans quelques mois.
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Manifestation violente d'orthodoxes |
L’israélien
moyen rêve de voir les partis extrêmes éliminés de la gouvernance. Il souhaite
que le premier ministre ne s’appuie que sur le Likoud avec une neutralisation
du "Foyer juif" par les partis centristes
pour avoir une majorité suffisante capable de conférer au gouvernement une
stabilité de quatre années et bien sûr une capacité de réformes. Alors que la
situation économique de l’année 2012 a été la plus mauvaise de la décennie en
Israël, l’économie est exclue du débat et des projets politiques des partis.
Mais le paradoxe veut que les candidats aux postes ministériels ne discutent pas de la nécessité d’une relance indispensable à la survie du pays et de la planification de mesures sociales draconiennes mais de l’étendue des subsides à verser aux institutions religieuses. Le poids des orthodoxes mine la situation politique en Israël.
Le centriste Yaïr Lapid vient encore de s’attaquer aux exemptions dont bénéficient les religieux et les ultraorthodoxes, dispensés de service militaire, et dont les familles nombreuses ne payent généralement pas d'impôts tout en bénéficiant d'aides sociales et d'écoles religieuses subventionnées.
La travailliste Shelly Yachimovich s'oppose à l'exclusivité des orthodoxes dans les affaires du pays. Elle prône la reconnaissance des mouvements religieux non orthodoxes : «J'ai beaucoup de respect pour le judaïsme orthodoxe, mais je crois aussi que l'État d'Israël doit permettre l’expression de tous les courants du judaïsme».
Mais le paradoxe veut que les candidats aux postes ministériels ne discutent pas de la nécessité d’une relance indispensable à la survie du pays et de la planification de mesures sociales draconiennes mais de l’étendue des subsides à verser aux institutions religieuses. Le poids des orthodoxes mine la situation politique en Israël.
Le centriste Yaïr Lapid vient encore de s’attaquer aux exemptions dont bénéficient les religieux et les ultraorthodoxes, dispensés de service militaire, et dont les familles nombreuses ne payent généralement pas d'impôts tout en bénéficiant d'aides sociales et d'écoles religieuses subventionnées.
La travailliste Shelly Yachimovich s'oppose à l'exclusivité des orthodoxes dans les affaires du pays. Elle prône la reconnaissance des mouvements religieux non orthodoxes : «J'ai beaucoup de respect pour le judaïsme orthodoxe, mais je crois aussi que l'État d'Israël doit permettre l’expression de tous les courants du judaïsme».
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