BENNETT : LE RÊVE BRISÉ DU FAUCON BLESSÉ
Par Jacques BENILLOUCHE
Le faucon
est blessé. Tout lui réussissait jusqu’alors, ou presque, mais son rêve a été
brisé dans le tumulte des résultats des élections. La création d’une start-up,
qu’il a revendue 145 millions de dollars, a fait de lui l’un des millionnaires
de la Knesset, là où beaucoup s’enrichissent justement grâce à la politique.
Grâce à ce pactole, il a réussi à
investir l’ancêtre du parti national religieux, en pleine déconfiture avec ses
dirigeants vieillis et peu soucieux de redonner vie à un mouvement historique
qui a accompagné la création d’Israël avec David Ben Gourion.
Alors, Naftali
Bennett a géré la prise du parti comme il gère une entreprise, tambour battant.
Il savait qu’il n’avait aucune chance de parvenir au sommet au Likoud, où il
avait fait ses premiers pas d’homme politique, du moins tant que Benjamin
Netanyahou en restait le leader omnipuissant.
Barre
trop haute
Mais les échecs forment les personnages
charismatiques. On n’aurait pas parlé d’échec s’il n’avait pas mis la barre
trop haute en croyant acquis les sondages immuables lui attribuant jusqu’à 18
sièges. Certes Habayit Hayehudi a fait un bon remarquable en passant de
3 députés à 12 après sa fusion avec l'Ihud Leumi, alliance de droite
nationaliste composée depuis 2009 de quatre micro-partis d’extrême-droite :
Moledet, Hatikva, Eretz Yisrael Shelanu et Tkuma. Bennett se voyait déjà en position
dominante, comme deuxième formation politique pouvant peser sur la constitution
du gouvernement et sur les options politiques du pays. Mais Yaïr Lapid lui a
ravi son statut de challenger en le transformant en quémandeur, non indispensable
à la coalition.
Des erreurs grossières peuvent
expliquer la désaffection d’un électorat qui l’avait adoubé au départ. Il avait
d’abord trompé son monde en mettant en avant son statut d’officier religieux
sioniste, ancien de l’unité d’élite Sayeret Matkal du chef d’État-Major,
tout en masquant son intransigeance nationaliste. Mais en attaquant de front le
Likoud, il s’est fait des ennemis qui ont mis en évidence son programme politique
et ses lacunes. Certains de ses aspects dogmatiques ont alors désorienté les
nouveaux venus qui l’avaient rejoint. Son refus d’accepter le principe de «deux
États pour deux peuples», énoncé certes du bout des lèvres par Benjamin
Netanyahou dans son discours de Bar Ilan de 2009, a inquiété les électeurs de
droite, réfractaires cependant à toute éventualité d’État binational qui les
forcerait à coexister avec les arabes : «Il n’y aura jamais de plan de
paix avec les palestiniens».
Tsahal et
les palestiniens
Sa deuxième maladresse, à mettre sur
le compte de l’inexpérience politique, a concerné sa bourde lors d’une émission
télévisée. Il avait dit que, personnellement, il pourrait difficilement se
prêter à une évacuation des implantations et qu'il préférait aller en prison si
le gouvernement décidait un quelconque repli des territoires. Certains avaient
interprété ses paroles comme un refus d'obéissance et une atteinte au principe
démocratique et sacré que l’armée du peuple est aux ordres du pouvoir
politique. Il a eu du mal à faire oublier cette bévue car Tsahal, l’armée
d’Israël, est un tabou auquel on ne s’attaque pas, à fortiori lorsqu’on la
servie comme il l’a servie.
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La grenouille et le boeuf |
Son vrai visage est alors apparu ;
celui d’un jeune leader aux dents longues, manifestant des idées extrémistes
qui ne cadraient pas avec celle de la majorité laïque du pays souhaitant éloigner tout risque de guerre en améliorant
les chances de paix avec les palestiniens. Au lieu de masquer une partie de ses
convictions, en stratège politique, et de choisir une voie pragmatique, il a
rejoint les clans bellicistes, intransigeants sur tout compromis territorial. Ses
prétentions n’ont pas été à la hauteur de son poids réel parmi la population
israélienne. Il en était arrivé à vouloir égaler son mentor Benjamin Netanyahou,
sinon le surpasser, comme la grenouille de La Fontaine : «Le monde est
plein de gens qui ne sont pas plus sages : tout bourgeois veut bâtir comme les
grands seigneurs».
Strapontin
au gouvernement
Pour entrer au gouvernement avec Yaïr
Lapid, il devra obligatoirement faire amende honorable en mettant dans sa poche
certaines de ses convictions extrémistes et certainement ses prétentions. Il
sait, la politique est ainsi cruelle, que Benjamin Netanyahou pourrait se
passer de lui en faisant appel aux orthodoxes, plus malléables dans leurs exigences
politiques, qui ont déjà fait part d’une
révision de leur approche sur le service militaire des jeunes des écoles
talmudiques. Un portefeuille ministériel vaut bien un renoncement.
Naftali
Bennett a trop longtemps fait la course en tête sans se rendre compte qu’il
indisposait les militants du Likoud qui ont ensuite tout fait pour qu’il s’écroule
au poteau d’arrivée. Il n’a pas non plus mesuré l’opposition de ceux qui l’ont
soutenu au départ et qui ont paniqué à l’idée de devoir imposer aux
palestiniens une occupation illimitée de la Cisjordanie. Beaucoup de ses soutiens
originaires des États-Unis ont aussi été sensibles au discours de mise en garde
de Barack Obama : «Israël agit à l'encontre de ses propres intérêts.
L'État d'Israël mène actuellement une politique qui le conduira à l'isolement
total». Cette prise de conscience
lui a fait perdre de nombreuses voix.
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Réunion avec les francophones |
Dans les derniers jours de la
campagne, la déception des francophones a pesé sur le résultat. Bennett avait
été adoubé par cette communauté orpheline d’un leader charismatique, capable de
s’élever au-dessus des querelles personnelles et des ambitions partisanes qui
ne permettent aucune représentation politique digne de leur nombre et de leur
poids politique. Mais aucun candidat de la liste Habayit Hayehudi ne parlait le français
pour venir s’adresser à ces fervents partisans dont la majorité maitrisait mal
l’hébreu. Il devenait donc difficile de transmettre un message direct et
percutant. Des soutiens francophones, choisis à la dernière minute, qui
n’avaient pas le même charisme ni la même fougue que les candidats eux-mêmes,
ont été envoyés en catastrophe dans des réunions électorales où de nombreuses
questions restaient sans réponse par ignorance.
Autopsie du bilan
Certains des amis de
Bennett raisonnent à présent sur la validité de la méthode utilisée pendant sa
campagne mais il n’est pas encore temps de désigner les coupables d’un échec non
annoncé. Naftali Bennett aura quatre années pour peaufiner sa technique, pour
se frotter aux politiques expérimentés et pour acquérir le matériel indispensable
s’il veut affronter de nouvelles
élections.
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Sarah Netanyahou |
Naftali Bennett a pêché
par trop d’assurance. Il n’avait pas compris que le Likoud l’avait laissé mener
sa barque librement car il était censé grignoter des voix au centre et aux
orthodoxes. Mais par gourmandise, il était devenu entreprenant et dangereux
pour Netanyahou. Il alla jusqu’à se venger
de l’épouse du premier ministre qui l’avait éliminé de lorsqu’elle avait senti
qu’il cherchait en fait à supplanter son époux. Avec maladresse, Naftali Bennett railla
l'épouse du premier ministre au cours d'une interview télévisée, affirmant que
lui-même et Sara Netanyahou avaient été ensemble dans un «stage de
terrorisme». Il faisait ainsi allusion aux mauvaises relations qu'il
entretenait avec Sara Netanyahou lorsqu'il était le l’adjoint du chef de
l’opposition d’alors. Des responsables du Likoud avaient expliqué que «Bennett
n'en finit pas de faire des zigzags», en affirmant apprécier Netanyahou tout
en humiliant son épouse.
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Ghetto juif |
Le Likoud-Beitenou a senti que Bennett était allé trop
loin dans sa volonté de siphonner ses voix lorsque les sondages
Cartographia lui attribuaient18 mandats.
L’alerte a été donnée et les chiens ont été lâchés. Une campagne internet a pointé
l'extrémisme religieux des candidats du Foyer juif, particulièrement
pour ce qui concerne les droits de la femme. Par ailleurs,
la publication d’une photo de Naftali Bennett avec des allusions à la Shoah
a provoqué une forte émotion et suscité une condamnation unanime dans le pays. Il
était présenté derrière des barbelés et accusé de vouloir parquer les juifs
dans un parti de religieux. Habayit Hayehudi y est qualifiée de «Ghetto Juif». Le
mal était fait.
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Plus forts ensemble |
Enfin la campagne de Bennett, associant son portrait à
celui de Netanyahou avec le slogan «plus forts ensembles», a dérouté plus d’un de ses partisans qui
comptaient sur un changement qui n’était pas symbolisé, selon eux, par la
reconduction du premier ministre sortant. Alors, désarçonnés, ils ont choisi le
vrai changement avec Lapid.
Naftali Bennett a dû comprendre qu’on ne s’improvise pas
homme politique comme on gère une entreprise. Il devra analyser toutes ses
maladresses et celles de son équipe de campagne pour les éviter lors des
prochaines élections s’il veut se voir, un jour, calife à la place du calife.
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