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mardi 4 décembre 2012

LE MODÈLE ISLAMIQUE TURC


 
LE MODÈLE ISLAMIQUE TURC
 
Par Jacques BENILLOUCHE
copyright ©  Temps et Contretemps
Place Taksim à Istanbul 


                Toutes les nouvelles révolutions arabes ont brandi le modèle turc comme étendard d’un islamisme rigoureux mais moderne. C’est un leurre dans lequel les occidentaux se sont engouffrés benoitement car il n’y a qu’un seul islamisme pur et dur qui s’infiltre sournoisement dans les rouages de la démocratie pour parvenir au pouvoir. Une fois les outils de la démocratie verrouillés et l’armée neutralisée, les dirigeants islamistes procèdent alors au changement de société, pas à pas, pour ne pas provoquer les laïcs ni les démocraties occidentales. De ce point de vue, la Turquie est un concentré de ce qui se fait de pire dans la sournoiserie et le culot.







 
 Atatürk et Erbakan
 
Mustafa Kemal Atatürk

Le fondateur de la République, Mustafa Kemal Atatürk doit se retourner dans sa tombe alors qu’il avait transformé son pays en démocratie moderne et laïque. Il avait donné le droit de vote aux femmes, restreint le port des vêtements islamiques et remplacé les lettres arabes par l’alphabet romain. Mais Tayyip Erdogan avait compris que l’armée restait la garante de la voie tracée par le grand leader turc et il n’a eu de cesse de la briser en écartant ou en emprisonnant ses principaux généraux, sous le motif fallacieux de complot contre l’État. L’armée a été décapitée et désorganisée ce qui lui pose d’ailleurs un problème d’efficacité face aux rebelles kurdes du PKK qui lui infligent de sérieuses pertes.
Necmettin Erbakan
  
En fait Erdogan a appris la leçon de son prédécesseur Necmettin Erbakan, premier ministre islamiste de juin 1996 à juin 1997,  partisan d’un grand marché commun islamique du Maroc à l’Indonésie et opposé à la politique kémaliste favorable à l’Europe et à l’Occident : «Nous ne sommes pas occidentaux, nous ne sommes pas européens parce que l’Union européenne est un club chrétien sous influence maçonnique». Les européens, qui devraient se remémorer ces vérités, pourraient réfléchir à deux fois avant d’intégrer la Turquie dans l’Union européenne.
 
Manifestation à Akara en 2007
 
Mais Erbakan avait été poussé à la démission sous la pression des militaires, avec interdiction d’activité politique. Aujourd’hui les tensions entre les musulmans pratiquants et les défenseurs de la laïcité sont canalisées par un pouvoir islamiste qui fait taire les opposants. Il est loin le temps où 700.000 personnes manifestaient en 2007 à Istanbul contre la candidature à la magistrature suprême du ministre des Affaires étrangères, Abdullah Gul. La foule s’était alors réunie sur la place Tandogan à Ankara, au pied du mausolée dédié à Kemal Atatürk, avec des banderoles : «Demain, il sera trop tard» ou «Respect pour la religion mais NON à l’islamisme». 

Édification de mosquées 

Mosquée bleue

Les manifestants de 2007 avaient vu juste car il est effectivement trop tard à présent puisque tout est verrouillé. L’armée ne bouge plus alors que le 18 juillet 1997 elle avait envoyé ses chars dans la rue pour pousser Erbakan à la démission. Cependant, malgré la crise économique mondiale, le gouvernement actuel d’Erdogan a maitrisé l’inflation et a engagé de sérieuses réformes soutenues par l’Union européenne ce qui pourrait expliquer la passivité actuelle des militaires qui attendent que la situation pourrisse pour intervenir en sauveurs de la nation.
Le premier ministre Recep Tayyip Erdogan surfe sur la neutralisation de l’armée pour islamiser son pays, à petits pas. Il vient de confirmer qu'une mosquée sera édifiée sur la place Taksim, une des principales esplanades d’Istanbul qui a toujours été l’enjeu des luttes entre islamistes et partisans laïcs. Il a également prévu l'édification prochaine d'une gigantesque mosquée de 30.000 places, sur la plus haute colline d'Istanbul, Camlica, qui surplombe le détroit du Bosphore. Il envisage de la construire à l’égale de La Mosquée Bleue  bâtie par l’architecte Sedefhar Mehmet Aga, élève du célèbre architecte Sinan, entre 1609 et 1616 sous le règne du sultan Ahmet I.
Colline de Camlinca
 
Le gouvernement turc vient de mettre fin au port de l’uniforme dans l’enseignement primaire et secondaire et a autorisé les jeunes filles à porter le voile en cours de religion en attendant de l’autoriser dans les universités pour le généraliser enfin dans l’espace public. Le débat est aussi ouvert sur la levée de l'interdiction des confréries religieuses. Les mesures sont progressives mais l’objectif final sera sans doute l’islamisation à outrance de la société turque.
C’est ce modèle, dit "modéré", qui est pris en référence par les révolutions arabes et il n’est pas certain qu’il favorisera à court terme une démocratie moderne et laïque alors que la Turquie a choisi d’entrer progressivement dans l’obscurantisme islamique.

 

 

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