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vendredi 3 août 2012

LA STRATÉGIE RUSSE AU MOYEN-ORIENT


    
LA STRATÉGIE RUSSE AU MOYEN-ORIENT

Par Jacques BENILLOUCHE 
copyright © Temps et Contretemps
Sharon-Poutine

     Les chancelleries occidentales semblent avoir été prises au dépourvu par le comportement de la Russie au Moyen-Orient alors que les évènements de Syrie ne font que confirmer la nouvelle stratégie russe qui se profilait depuis plusieurs années. Les dirigeants israéliens n’ont pas été surpris par la tournure de ces liens. 

Ils avaient déjà pressenti cette évolution lors des discussions "franches" faisant suite au réchauffement de leurs relations par la Russie de Poutine. Israël avait été préparé depuis la visite en Israël du chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov en 2004, suivie immédiatement par la première visite historique d’un chef d’État russe, Vladimir Poutine, le 27 avril 2005, dans le cadre de relations qui redevenaient normales.
En effet, à l’époque, les deux pays se sentaient en communauté de destin et de malheur après les attentats et les prises d’otages organisés par les tchéchènes. La lutte commune contre le terrorisme islamiste faisait écho au sein des deux capitales. «Le terrorisme qui a frappé en Russie est exactement du même type que le terrorisme qui nous affecte», avait affirmé à Jérusalem le premier ministre Ariel Sharon en présence du ministre russe des Affaires étrangères. Malgré l’oreille attentive des russes, empêtrés dans les problèmes liés au terrorisme, les israéliens étaient suffisamment réalistes pour comprendre que leur soutien opportuniste pouvait fluctuer avec les intérêts stratégiques du moment.

Trémolos opportunistes
Andreï Gromyko

         Le retour en force des russes au Proche-Orient avait été planifié et passait par la normalisation des relations avec Israël pour neutraliser tout conflit avec l'acteur majeur de la région.  Les anciens pionniers, invités aux réceptions officielles des hauts dirigeants russes à Jérusalem, s'étaient remis à rêver. Ils se rappelaient, qu’à la création de l’État juif, l’URSS symbolisait, avec les pays de l’Est, l'allié principal.
Ils avaient encore en mémoire les paroles prononcées par Andreï Gromyko à la tribune de l’ONU en 1947, avec des trémolos dans la voix : «Pour ce qui concerne l’État juif, son existence est un fait, que cela plaise ou non. La délégation soviétique ne peut s’empêcher d’exprimer son étonnement devant la mise en avant par les États arabes de la question palestinienne. Nous sommes particulièrement surpris de voir que ces États, ou tout au moins certains d’entre eux, ont décidé de prendre des mesures d’intervention armée dans le but d’anéantir le mouvement de libération juif. Nous ne pouvons pas considérer que les intérêts vitaux du Proche-Orient se confondent avec les explications de certains politiciens arabes et de gouvernements arabes auxquelles nous assistons aujourd’hui». Les dirigeants israéliens considèrent ce discours du temps de la Guerre froide comme très actuel.
        Mais après avoir été éjectée de la région et avoir subi une éclipse de plus de quinze ans, la Russie voulait reprendre pied au Moyen-Orient. Elle avait regretté d’avoir laissé le champ libre aux américains en Irak et en Afghanistan et permis aux États-Unis et Israël de piétiner les plates-bandes de ses anciens satellites soviétiques. 
Davit Kezerashvili
 
       En effet, Avigdor Lieberman, ministre des affaires étrangères, constatant l’isolement diplomatique d’Israël en Europe, s’était tourné vers les anciens pays de l’URSS dont il est originaire, pour compenser la frilosité des occidentaux. Des entreprises israéliennes avaient ainsi équipé la Géorgie en armement sophistiqué utilisé d’ailleurs lors de son conflit avec la Russie en 2008. Grâce aux relations personnelles avec le ministre de la défense géorgien, Davit Kezerashvili, ancien immigré israélien, l’entrainement des troupes de fantassins avait été confié à des cadres de Tsahal. La Russie n’avait pas beaucoup apprécié cette ingérence israélienne.

Plates-bandes russes


      Par ailleurs, la signature depuis septembre 2008 de contrats d’armement de plusieurs centaines de millions de dollars avec la république d’Azerbaïdjan, à majorité musulmane, mettait cet ancien satellite sous influence occidentale. L’Azerbaïdjan avait même décidé d’abriter depuis janvier 1999 des bases de l’OTAN. L’utilisation du Caucase dans la nouvelle stratégie de défense israélienne n’était pas vue d’un bon œil par les russes qui constataient qu’ils se faisaient doubler dans leur propre zone d’influence.
Les pays arabes, qui lui achetaient auparavant des armes, lui ont tourné le dos car, inquiets de l’équipement nucléaire de l’Iran, ils préféraient s’abriter sous le parapluie nucléaire américain contre les risques d’un voisin turbulent. Barack Obama avait bien manœuvré pour consolider ses alliances après la présentation de sa doctrine du haut de la tribune égyptienne.
        Les russes ont donc décidé de changer de stratégie par une entrée en force au Moyen-Orient en réarmant la Syrie et en aidant l’Iran dans sa quête du nucléaire. Ils avaient d’ailleurs systématiquement contrebalancé leurs visites en Israël, de 2004 et 2005, par la reprise de liens avec l’Arabie Saoudite, le Yémen ou les Emirats. L'échec de la normalisation des relations syro-américaines leur avait ouvert une nouvelle opportunité lorsque Barack Obama a renouvelé les sanctions  contre la Syrie accusée d'armer le Hezbollah et d’entretenir des liens avec l'Iran et avec le Hamas.
Alors, s’inspirant de la technique de surenchère datant de la Guerre Froide, Damas a utilisé l'influence de Moscou pour contrebalancer celle de Washington. Les trois visites en Russie du président Bassar al-Assad, depuis son arrivée au pouvoir en 2000, ont fini par payer.
 
Réarmement régional

Medvedev en visite en Syrie

        Israël ne s’était pas inquiété des conséquences de la visite en Syrie, le 10 mai 2010, du président Medvedev, la première d’un chef d’Etat russe, car il s’agissait d’abord de renouer les liens économiques. Il était accompagné d’une délégation civile d’hommes d’affaires sous la conduite du ministre de l’énergie Sergei Shmatko. L’État juif avait été conforté dans sa vision puisque les discussions couvraient le programme économique et en particulier, le projet de gazoduc qui devait approvisionner l’Europe en gaz pour contourner l’Ukraine qui donnait des signes de rébellion.
        Mais Israël a mesuré le changement de donne lorsque la Russie a décidé de moderniser les équipements militaires de la Syrie, complètement obsolètes et en mauvais état. La Russie était contrainte à des contreparties militaires pour son exploitation du gaz et du pétrole en Syrie tout en cherchant à équilibrer les forces en présence. 
       Les diplomates avaient d’ailleurs préparé leur justification de la nouvelle attitude russe : «cette visite exprime l'estime de la Russie envers le rôle joué par la Syrie pour préserver la stabilité dans la région, et son soutien à la politique de la Syrie et à son droit à récupérer le Golan». En soulevant le problème du plateau syrien annexé par Israël, les discussions ne concernaient plus alors la coopération économique et commerciale mais, plus précisément, le conflit au Proche-Orient dans lequel voulaient s’insérer les russes.
         La décision de Moscou de vendre des avions de combat, des armes antichars et des systèmes de défense antiaériens alimentait l'inquiétude des israéliens parce qu'une partie de cet armement pouvait être transférée au Hezbollah libanais. Le soutien affiché au chef du bureau politique du Hamas, Khaled Mechaal, a «déplu» à Israël après la déclaration du porte-parole russe : «Le Hamas n'est pas une structure artificielle, c'est un mouvement qui s'appuie sur la confiance et la sympathie d'une grande partie des Palestiniens. Nous sommes convaincus qu'on peut garantir la mise en œuvre des exigences de la communauté internationale seulement sur la voie de l'unité de tous les Palestiniens et pas sur celle de l'isolement de certaines mouvances ».

Courbettes au Hamas


        Cette attitude n’était pas inédite puisque les dirigeants russes avaient toujours considéré le chef du Hamas comme un interlocuteur acceptable après l’avoir reçu en grandes pompes à Moscou. Le revirement politique avait été suffisamment significatif pour entrainer une riposte d’Avigdor Lieberman : «Le Hamas est une organisation terroriste à tous les points de vue. Elle a comme unique objectif de détruire l’État d’Israël. Israël ne fait aucune différence entre la terreur du Hamas qui s’attaque à Israël et la terreur des Tchétchènes qui s’attaquent à la Russie. Il n’y a aucune différence entre Khaled Mechaal et Salmanovitch Bassaïev. Israël a toujours soutenu la Russie dans son combat contre la terreur tchétchène. Nous nous serions attendus à une réaction semblable de votre part quand il est question du terrorisme du Hamas contre Israël».
           Mais l’inquiétude d’Israël avait alors atteint son paroxysme lorsque Dimitri Medvedev et Bassar El-Assad ont envisagé l'éventuelle construction en Syrie d'une centrale nucléaire russe : «Si la Syrie prend la décision de développer son énergie nucléaire, notre coopération sera tout à fait possible, une fois que la décision est prise, le déroulement ultérieur des choses est évident. L'essentiel est de respecter toutes les normes et les exigences de l'AIEA ». Cette décision avait été interprétée par Israël comme un casus belli car la doctrine du premier ministre Menahem Begin, dictée en 1981, reste en vigueur et stipule «qu'Israël bloquerait toute tentative de ses adversaires d'acquérir des armes nucléaires» à fortiori, lorsque le nucléaire est détenu par un pays frontalier. 
         Si la Russie avait décidé d’enflammer la région, elle ne se serait pas prise autrement. Le revirement russe, planifié de longue date, a poussé les syriens vers une fuite en avant dont les conséquences destructrices étaient prévisibles. La doctrine russe s’était mise en place dans le scepticisme occidental qui feint aujourd’hui de n’avoir rien vu venir. Bassar Al-Assad surfe sur la volonté des russes de ne pas perdre pied au Moyen-Orient.



 

       






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