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samedi 21 juillet 2012

SYRIE : OÙ SONT PASSÉS LES INDIGNÉS GAUCHISTES



SYRIE : OÙ SONT PASSÉS LES INDIGNÉS GAUCHISTES?

Par Jacques BENILLOUCHE

copyright ©  Temps et Contretemps
         
        Le débat sur la Syrie ne fait pas recette auprès des professionnels de la contestation. Les neuf morts de la flottille de Gaza, qui avaient cherché la provocation armée, avaient mobilisé les médias du monde entier. Les marches et les manifestations dans les rues occidentales avaient ameuté les bonnes consciences et réveillé tout ce qu’il y avait de militants et de bien-pensants. Or, des dizaines de milliers de morts syriens ne suffisent pas à mobiliser les gauchistes et leurs amis "anti-impérialistes".


Donne faussée



        Le paradoxe tient au fait qu’ils se disent à la fois contre le régime de Damas mais aussi contre toute intervention occidentale qui pourrait venir au secours d’une population massacrée. Alors ils se taisent et se terrent en attendant le malheureux mort palestinien, victime de Tsahal, qui les encouragera à s'indigner et à vibrer comme avant, du temps où les communistes massacraient en silence derrière le rideau de fer et où les féodaux arabes asservissaient leur peuple pour entasser les pétrodollars.
        Leur silence est tout à fait explicable puisque la donne est faussée dès le départ. A l’origine, le régime baasiste de la dynastie Assad s’était autoproclamé anti-impérialiste ce qui excitait le militantisme d’extrême-gauche alors qu’en fait, il s’était paré d’un nationalisme exacerbé, doté d’une bonne dose d’antisionisme. Il a éradiqué la royauté pour mettre en place une dictature similaire.
Sigle du parti Baas
Les rivalités régionales et la lutte permanente contre le sionisme leur font oublier la montée d’un islamisme pur, dur et parfois sanguinaire. Ils ne veulent pas d’ingérence parce qu’ils prétextent que la population soutient en majorité le régime syrien, à quelques exceptions près. Ils feignent d’ignorer que Bassar Al-Assad survit grâce à une équipe de collaborateurs prostrés, cyniques et corrompus, n’hésitant pas souvent à conspirer, non pas pour le bien du peuple mais pour leur intérêt personnel. 
 
Abonnés absents

Melenchon, Buffet et Besancenot
Le NPA, la LCR, le Parti communiste  et le Front de Gauche, ainsi que leurs semblables dans les autres pays démocratiques, sont aux abonnés absents. Pas une seule manifestation n’a été organisée en France par Besancenot ou Mélenchon, pourtant toujours prompts à s’élever contre «la prison à ciel ouvert» de Gaza ou la répression en Cisjordanie. Les écologistes, qui suivaient toujours le mouvement, sont absouts aujourd’hui parce qu’ils sont réduits au silence depuis leur entrée au gouvernement. Pourtant les condamnations contre Israël et les morts de la flottille n’ont pas fait défaut : «le NPA condamne fermement ce massacre et s’associe à l’ensemble des initiatives unitaires de protestation». Il s'agissait alors des morts de la flottille. Aujourd'hui, pas d'envolée similaire et pas un mot sur la Syrie.

Pour ces militants qui se croient mandatés pour défendre les faibles et les opprimés, manifester contre Assad équivaudrait à soutenir Israël et les impérialistes  occidentaux. Ils prétendent ne pas vouloir agir car ils craignent l’inconnu et le chaos qui pourraient succéder aux assassinats actuels. Pourtant, ils n’ignorent pas que le régime d’Assad les a bernés en n’ayant jamais appliqué les mesures anti-impérialistes qu’ils prônaient à longueur de discours, de programmes, de motions et de pétitions. La dynastie Assad s’est éloignée du socialisme, dès son accession au pouvoir, pour  engager uniquement des réformes libérales.

Manifestation gauchiste pro-palestinienne
  
Idéologie bafouée

L’idéologie originelle du Baas n'est plus qu'un lointain souvenir. En effet la doctrine combinait le socialisme arabe, le nationalisme panarabe et la laïcité. Un programme qui avait enflammé au départ les révolutionnaires occidentaux de salon qui savaient utiliser l’arme de la parole et l’enfumage politique. En fait, les Assad ont vite supprimé toute référence socialiste à leur régime et ont donné un coup de canif à la laïcité en imposant un président musulman dans la constitution. 
Le socialisme a été rangé dans l’armoire des souvenirs du pays puisque le régime décida de choisir le libéralisme, auréolé par l'alibi de la création de plusieurs partis qui ne faisaient d’ailleurs qu’illusion. En revanche, il généra une caste de nouveaux riches qui s’organisèrent pour dépouiller les richesses du pays en entassant des fortunes dans les coffres des banques occidentales. Les gauchistes pouvaient difficilement se reconnaitre dans un tel magma d’idées contradictoires et pourtant, ils continuaient à lever haut le flambeau de la solidarité avec un peuple qu’ils ne sentaient pas opprimé par ses propres dirigeants.

Manifestation pro-Assad
Au lieu de combattre l’impérialisme, le régime syrien singea les régimes féodaux et anachroniques arabes. Le népotisme d’une famille régnante, la corruption élevée au rang d’institution et le développement d’une police pléthorique donnaient au pays sa véritable caractéristique impérialiste avec ses sous-produits : l’inégalité, l’oppression et la domination par un petit clan.
Malgré ces réalités, les gauchistes et consorts ne s’avoueront pas vaincus. Les morts syriens entrent dans le décompte de l’action de l’impérialisme sioniste et leur silence d’aujourd’hui n’est en fait que l’expression la plus ignoble de la lâcheté. En fait, ils sont fidèles aux idées constitutives de leur mouvement. Ils restent en admiration pour un régime qui tient tête aux États-Unis et qui est anormalement soutenu par la Chine et la Russie. Ils gardent, avec nostalgie, la réminiscence du culte soviétique et de la révolution culturelle maoïste qui ont fait les beaux jours des années 1960. 

Alain Badiou, philosophe et maoïste médiatique

Alors, dans la pure tradition de l’époque noire, les gauchistes et les anti-impérialistes refusent de «s’indigner» en attendant, en bons militants disciplinés et intoxiqués, le signal qui leur imposera de se trouver au premier rang des manifestations antisionistes. Mais il est encore trop tôt de pleurer les morts syriens car la chair arabe n'est pas encore cotée à l'argus du monde civilisé.

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