Pages

samedi 22 avril 2023

Marek Edelman, héros du ghetto de Varsovie, banni par les Israéliens



MAREK EDELMAN, HÉROS DU GHETTO DE VARSOVIE, BANNI PAR LES ISRAÉLIENS




Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps

Marek Edelman

            Les Juifs commémorent l'anniversaire du déclenchement de la révolte du ghetto de Varsovie du 19 avril 1943. Marek Edelman, lors de son décès le 3 octobre 2009 à Varsovie, était réapparu à la une de l’actualité alors que l’Histoire, surtout en Israël, l’avait volontairement oublié. Présumé né en 1920, il avait baigné dès sa naissance dans le Bund, mouvement socialiste juif créé en Pologne. L’Histoire ne veut retenir du ghetto que l’héroïsme de son compagnon de combat, Mordechai Anielewicz, sioniste de gauche, avec lequel il avait fondé en 1942 l’Organisation Juive de Combat.



Vidéo sur le Ghetto

           
 
          Aidés par le gouvernement polonais en exil à Londres, ils avaient décidé de provoquer une insurrection pour enrayer la vague de déportation des Juifs du ghetto. Ils symbolisent, encore aujourd'hui, le combat courageux de quelques Juifs contre l'armada nazie. Mordechai, commandant de l'Organisation militaire juive, avait écrit le 23 avril 1943 une dernière lettre :«Les Allemands ont fui par deux fois du ghetto. L'une de nos compagnies a résisté 40 minutes et une autre s'est battue pendant plus de six heures Nos pertes en vies humaines sont faibles et ceci est également une réussite… Grâce à notre radio, nous avons entendu une merveilleuse émission relatant notre lutte. Le fait que l'on parle de nous hors du ghetto nous donne du courage. Soyez en paix, mes amis de l'extérieur ! Peut-être serons-nous témoins d'un miracle et nous reverrons-nous un jour. J'en doute ! J'en doute fort ! Le rêve de ma vie s'est réalisé. L'auto-défense du ghetto est une réalité. La résistance juive armée et la vengeance se matérialisent. Je suis témoin du merveilleux combat des héros juifs…»

Ghetto de Varsovie
Mordechai Anielevicz

            Les Juifs se sont opposés pendant trois semaines avec à peine deux cents résistants, dans un combat inégal et désespéré, à la machine de guerre des Waffen SS. Une répression sans pitié, dans une situation sans issue, entraînera alors le commandant en chef Anielewicz à se suicider le 8 mai 1943 avec une partie de son Etat-Major, avant de laisser la succession à son second, Marek Edelman. Ce dernier, qui avait déjà l'esprit israélien, n'eut alors qu'un commentaire impitoyable pour celui qu'il remplaçait : «un chef n’a pas le droit de se suicider ; il doit se battre jusqu’au bout, d’autant qu’il était possible de fuir le ghetto, malgré les barrages». Mais il a dû se résoudre, lui aussi, à cesser le combat et à fuir par les égouts avec une quarantaine de survivants tandis que les nazis mettaient le feu au ghetto.  Il se défendit en affirmant que : «ce sont les flammes qui l’ont emporté sur nous, pas les Allemands»
Les ruines du ghetto de Varsovie en 1943
            
     Ce personnage complexe reste encore aujourd’hui difficile à cerner. Marek Edelman symbolise le premier et le plus spectaculaire exemple de résistance juive armée contre les nazis et pourtant, son aura demeure associée à une tache indélébile dans l’Histoire juive pour avoir refusé de mettre son expérience militaire au service de la création de l'armée d'Israël. Il préfigure en effet l’image héroïque du Juif combattant les armes à la main et inspire l’idéal des jeunes luttant pour l’indépendance d’Israël. 
         Malgré sa stature de rare héros à avoir traversé indemne la Shoah, il a tenu à rester en marge du monde juif moderne. Il se voulait avant tout polonais et subsidiairement juif. Cette étiquette lui collait tellement mal à la peau qu’il refusa toujours d’assister aux commémorations officielles de la révolte du ghetto. Soit qu’il qualifiait la révolte d’échec et il ne tenait pas à se remémorer cette défaite ; soit qu’il ne voulait pas endosser les habits d’instigateur d’un soulèvement récupéré politiquement par les instances sionistes.

Légion d’Honneur

Allocution de Kouchner pour la légion d'honneur

            Le respect à ses idées et à son dogme l’amena à fermer les yeux sur les manifestations antisémites de 1968 en Pologne qui pousseront sa famille, sérieusement inquiétée, à choisir l’exil en France. Il s’acharnera à afficher une fidélité indéfectible à un pays, qui n’a cessé de le rejeter, en acceptant d’être élu député de 1998 à 1993. Son attitude restera totalement inexplicable et sa volonté de rejeter tout attachement avec Israël laissera perplexe une communauté juive pourtant fervente de symboles. C’est pourquoi, l’Histoire d’Israël retiendra l’unique nom d’Anielevicz qui restera attaché au Ghetto de Varsovie.
Fumées du Ghetto



        Bernard Kouchner le fit Commandeur de la Légion d’Honneur en avril 2008 alors qu’Israël ne lui a octroyé aucune décoration car l’Etat juif ne comprenait pas la motivation profonde de son antisionisme viscéral : «chez moi, il n’y a de place ni pour un peuple élu, ni pour une terre promise». Sa volonté de réfuter son allégeance à Israël au point de se rapprocher de ses pires ennemis ne trouve pas d’explication : «quand on a voulu vivre au milieu de millions d’Arabes, on doit se mêler à eux, et laisser l’assimilation et le métissage faire leur œuvre».


            Son aigreur mal contenue l’avait ensuite amené à pactiser avec les Palestiniens et à prendre fait et cause pour leur combat. En octobre 2002, il adressa une lettre ouverte aux groupes armés palestiniens pour qu’ils cessent les attentats suicides : «Nos armes n’ont jamais été tournées contre une population civile sans défense. Nous n’avons jamais tué de femmes ni d’enfants.» Les Israéliens ont été scandalisés par le parallèle entre les héros du Ghetto de Varsovie qui combattait les nazis et les kamikazes palestiniens. Le temps aidant, on trouverait bien une explication plausible à l’idéologie antisioniste de Marek Edelman, devenu pour Israël un renégat car ses propos dénotaient une haine, teinté d’amour, envers l’Etat juif.

Le Bund

Jeunes bundistes

            Seul le retour à l’histoire du Bund pourrait justifier ou, au moins, éclairer cette position rigide. Les Juifs constituaient, dans l’Empire Russe à la fin du 19ème siècle, une minorité fortement concentrée de six millions dans les grandes villes de Varsovie, Kiev, Odessa ou Vilnius. La grande majorité, qui parlait yiddish, s’était trouvée fortement prolétarisée. Les pogroms donnèrent naissance à un élan où le syndicalisme, la politique et l’autodéfense devaient cohabiter. 
          Le mouvement ouvrier juif, né en cette période, s’était alors trouvé confronté à trois choix d’orientation. D’une part celui des Bolchéviks et Mencheviks, ou d'autre part celui des Socialistes Révolutionnaires qui considéraient que l’émancipation des peuples opprimés passait par la révolution et que la notion même de nationalité ne pouvait être d’actualité. A l’autre extrémité, le choix des sionistes dont les dirigeants, originaires en majorité de l’Empire russe, jugeaient que l’antisémitisme inéluctable se combattait par le départ en Palestine. Mais en ce temps ils prêchaient dans le désert puisque la majorité des immigrants choisissaient l’Amérique comme terre promise en ayant contre eux les instances religieuses.
Bundistes déportés en Sibérie
            Le Bund s’intercalera entre ces deux doctrines en optant pour une idéologie originale qui, bien que révolutionnaire, représentait la branche juive de l’Internationale. Il prônait «l’autonomie culturelle» qui permettait aux Juifs de jouir de la totalité de leurs droits nationaux sur le plan linguistique, culturel et cultuel dans les pays où ils résidaient, sans discrimination et sans revendiquer de territoire spécifique. Le Bund, laïc, défendait la liberté religieuse bien que ses dirigeants, athées, fussent foncièrement opposés aux rabbins. Mais paradoxalement, il jugeait que le yiddish devait rester la langue du prolétariat juif dans le cadre d’une assimilation totale.

Aventure polonaise

            Marek Edelman, fidèle au dogme créateur de son mouvement impliquant en priorité le renoncement à un territoire national, n’avait pas compris que la disparition du Bund et la renaissance de l’antisémitisme avaient sonné le glas de ses illusions et ouvert de manière éclatante la voie à l’aventure sioniste. Au fond de lui-même, il n’avait jamais cru à la possibilité de l’émergence d’un Etat juif et il a eu le tort de n’avoir pas fait son mea culpa pour ses erreurs de jugement. En préférant continuer son aventure polonaise, en territoire antisémite, plutôt que de mettre sa technique de combattant expérimenté au service de la création d’un embryon d’armée juive de défense, il s’était mis au ban de la société israélienne.
            Ben Gourion, qui l'avait accusé de vouloir la rupture avec la Diaspora, lui en avait toujours voulu, au point de décider de l’effacer de la mémoire juive collective. Il n’aimait pas qu’il dénigre systématiquement l’Etat d’Israël en particulier lorsqu’il affirmait : «pour vous Israéliens, la Guerre de Six-Jours a été l’évènement le plus important de l’histoire juive contemporaine. Vous pouvez vous appuyer sur un Etat, des chars et un puissant allié américain. Nous, nous n’étions que 200 jeunes avec six révolvers mais nous avions la supériorité morale».
Mémorial Yad-Mordechai

Israël refuse toujours de le compter parmi ses héros et d’inscrire son nom dans l’Histoire juive. Le monument aux morts du Ghetto de Varsovie, construit en Israël, ne mentionne même pas son nom. Mordechai Anielewicz, le sioniste, restera le seul emblème du soulèvement du Ghetto de Varsovie. Dommage pour l’autre combattant, gauchiste avant l'heure !  


Un témoignage de Shulamit Aloni  
   



8 commentaires:

  1. Elizabeth GARREAULT19 avril 2021 à 11:01

    Témoignage de Udi Aloni le fils de Shoulamit racontant la réconciliation entre Marek et Yitshak Rabin "zal":
    " ma mère a insisté et lui a dit: "Vas-y!" Il a serré la main et a embrassé Marek Edelman, et a commencé à lui parler en yiddish et il y avait des larmes dans leurs deux yeux. Deux combattants - un bundiste et un sioniste - pleurent tous deux en yiddish.
    Au moment où j'ai entendu l'histoire, j'ai pensé que peut-être qu'à l'intérieur de chaque Sabra coriace avec du sang sur les mains se cache une âme bundiste parlant yiddish qui croit en la classe plutôt qu'en la solidarité ethnique. Peut-être que l'assassinat de Rabin par la droite juive fasciste a empêché la dernière opportunité pour le tikkun (réparation) de l'âme sioniste israélienne. . .
    Comme le disait Marek Edelman: «Un juif est quelqu'un qui protège les faibles.»

    RépondreSupprimer
  2. Cette histoire restera à jamais un mystère inexplicable dans le comportement après guerre de Marek.
    Mais au nom de son action pendant la révolte, personne n'a le droit de le juger, car je pense qu'à l'instar de tous les survivants de la shoah, personne n'est sorti indemne psychiquement de ces épreuves.

    RépondreSupprimer
  3. Marianne ARNAUD20 avril 2021 à 11:51

    Cher monsieur Benillouche,

    Quelle que soit l'opinion qu'on puisse avoir sur Marek Edelman - dont j'entends parler pour la première fois ici - je ne crois pas que ce soit à l'honneur d'Israël en général, et de Ben Gourion en particulier d'avoir décidé de "l'effacer de la mémoire juive".
    Si j'ai bien compris, lorsque vous écrivez : "Il se voulait avant tout polonais et subsidiairement juif", il était dans la droite ligne de l'idée de la laïcité à la française telle qu'elle a été promue par les lois de 1905 ! Pas étonnant que par la suite, il ait choisi l'exil en France, avant de retourner vivre et mourir dans sa patrie : la Pologne !
    Je pense qu'en cela ils s'est comporté comme tous ces Juifs européens qui à un moment de leur vie ont été obligés d'émigrer en Palestine pour échapper aux persécutions nazies, mais n'ont eu de cesse que de retourner après la guerre dans leurs anciennes patries, y compris dans des anciens pays nazis comme l'Allemagne ou l'Autriche. Mon père a été de ceux-là, et pourtant il n'a pas eu la vie facile à son retour à Vienne en 1951 !
    Mais l'histoire est loin d'être terminée au moment où le Moyen-Orient est une poudrière au bord de l'abîme, où chaque jour on a l'impression que tout et même le pire peut arriver.
    Seul l'avenir nous dira si Marek Edelman a eu tort ou s'il avait raison.

    Très cordialement.

    RépondreSupprimer
  4. Mme Arnaud, votre père a eu tort. En 1948, il y avait 850,000 juifs en Palestine, aujourd'hui nous sommes 7,000,000. La leçon de l'histoire est là. Par ailleurs, sans porter de jugement, sachez que pour certains, seul le bonheur individuel compte, pour d'autres c'est la survie du peuple juif. Ceux qui sont retournés en Autriche, en Allemagne ou en France le regretterons peut être un jour, tandis que ceux qui ont fait le choix d'Israël mourront les armes à la main s'ils doivent mourir.

    RépondreSupprimer
  5. Marianne ARNAUD22 avril 2021 à 18:54

    @louzoun

    Vous n'arriverez pas à me convaincre, mais essayez de récupérer la sénatrice turco-israéolo-française qui milite dans les rues au côté des écolo-islamo-gauchistes, cela nous rendrait service !

    RépondreSupprimer
  6. En lisant et relisant cet article sur Marek Edelman c'est l'image de Pétain qui me revient.
    Héros incontesté de la Grande Guerre, il n'a pas été capable de se maintenir de résister face à la défaite. Héros d'un jour, il ne devint pas héros de toujours. Certains ont essayé de raccrocher, de rassembler les morceaux tel Mitterrand qui allait fleurir sa tombe.
    Il en va probablement de même avec des personnes comme le fils Alony décrit par Élisabeth Garreault.
    Il y a un vrai mystère chez ces héros qui ont rejoint le côté sombre de la justice.

    RépondreSupprimer
  7. L'historiographie israelienne de la revolte du Gh etto de Varsovie ne peche pas seulement a propos de Marek Edelman, mais aussi a propos de la deuxieme organisation de resistance juive dans le Ghetto, celle des sionistes de droite. Marek Edelman n'a pas ete ignore, le Bund a toujours ete pris en compte, la droite sioniste fut, elle, completement effacee et on peut s'etonner que meme Menahem Begin, le dirigeant de la droite sioniste en Pologne, puis en Palestine, n'a jamais rien contribue a lever le voile. Paradoxalement, ces dernieres annees, on reparle de la droite sioniste, et on s'apercoit que l'escamotage partisan ne concerna pas seulement le Ghetto de Varsovie, mais les autres ghettos ou des actes de resistance armee eurent lieu. Ainsi, le premier ghetto a se soulever, dans la petite ville, alors polonaise, de Lachwa, fut emmene par la droite sioniste, et fait remarquable, toutes les organisations juives, sionistes ou non, reconnurent le dirigeant local du Betar, comme etant l'initiateur, l'organisateur et le chef de cette revolte. Et remarquablement, quelques izaines de Juifs survecurent a cette revolte et meme a la suite tragique des evenements. Un autre exemple, celui-ci assez scandaleux pour avoir ete soigneusement efface par l'historiographie israelienne, fut la resistance armee du ghetto de Vilna (Vilnius), composee principalement (cela n'a ete reconnu qu'en 2010 (!!!) des organisations sionistes de droite. L'habile Abba Kovner sut s'approprier sans aucune vergogne ces faits. Aujourd'hui, certains pretendent que l'hymne des combattants du ghetto de Vilna, qui devint par la suite, l'hymne de tous les combattants juifs, fut ecrit en l'honneur de Josef Glazman, l'un des combattants de la droite sioniste, tombe les armes a la main!!!
    En ce qui concerne le Ghetto de Varsovie, les archives de Ringelblum n'ont ete que partiellement recuperees. Des recherches ont ete ete effectuees il y a quelques annees, mais l'endroit presume se trouve dans les jardins de l'ambassade de Chine, pas tres cooperante. Or ces archives concernent principalement la resistanvce armee dans le Ghetto, ou en dehors de l'OJC (en polonais ZOB) et de la ZZW (sioniste de droite), il y eut aussi ce que l'historien juif polonais communiste, Ber Mark, qualifait de "sauvages", a savoir, entre autres, du groupe arme des porteurs, du groupe arme des fideles de la hassidout de Brezlev, et du groupe sioniste religieux de droite, Brit HaHashmonaim! Bref, il y a encore pas mal de choses a eclaircir.

    RépondreSupprimer
  8. Très ému d'apprendre le décès de Jacques Benillouche dont j'appréciais la qualité des articles et des interventions sur les radios juives. Il avait cette qualité d'être précis et honnête. Il aurait été ashkénaze, on l'aurait qualifié de mensch mais il était séfarade et plus précisément juive Tunisien. Merci pour tout ce que vous avez fait , vos chroniques vont me manquera. Baroukh Dayan Haemet.

    RépondreSupprimer