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mardi 21 février 2012

VISITE A NAPLOUSE, LA VILLE AUX NOMBREUX SYMBOLES


VISITE A NAPLOUSE, LA VILLE AUX NOMBREUX SYMBOLES

Par Jacques BENILLOUCHE

Tombeau de Joseph
                 
          Naplouse (Shekhem en hébreu) est la ville la plus importante de Cisjordanie, à 63 kms au nord de Jérusalem. Elle compte environ 135.000 habitants et abrite des lieux saints musulmans, chrétiens, samaritains et juifs et en particulier le tombeau de Joseph. Naplouse, faisant partie de la zone A définie aux accords d’Oslo de 1993, a été évacuée par les israéliens et est totalement administrée par l’Autorité palestinienne.

Le tombeau de Joseph
Tombeau Joseph après incendie

La Bible, dans la Genèse,  raconte que Joseph, l'un des douze fils de Jacob, vendu en esclave par ses frères jaloux, devint l’homme le plus puissant d’Égypte à côté de Pharaon. Lorsque la famine frappa la terre, il fit venir les enfants d'Israël en Égypte, où ils s’installèrent dans le pays de Goshen. Les textes bibliques, l’Exode et Josué,  rapportent que Moïse, en quittant l’Égypte avec son peuple, emporta les ossements de Joseph car celui-ci avait formellement adjuré les enfants d'Israël: «Dieu ne manquera pas de vous visiter et alors vous emporterez mes os de ce pays». Les ossements de Joseph furent inhumés à Naplouse, dans le lopin de terre que Jacob avait acquis.
                L’armée nous a autorisés à visiter la ville car elle est interdite aux israéliens et n’est  accessible qu’une fois par mois pour permettre aux pèlerins juifs de prier sur la tombe de Joseph. Le ministre de l’information et de la Diaspora, Youli Edelstein, s’était proposé de nous y accompagner, avant l’afflux des dizaines d’autobus de religieux escortés par un régiment de 500 soldats.
Youli Edelstein

            La visite a eu lieu volontairement de nuit pour éviter d'éventuels troubles avec la population palestinienne. Naplouse symbolise en effet la ville des combats, durant les deux Intifada ou révoltes populaires des palestiniens, contre l’armée israélienne. Bien que ville autonome, elle reste parfois soumise aux incursions de l’armée pour dénicher les terroristes qui s’y cachent. Et pourtant, une fois par mois, grâce à une coopération volontaire et totale, les forces de l’Autorité palestinienne et israéliennes organisent l’arrivée de milliers de pèlerins, après que la ville ait été mise sous couvre-feu.
          L'implantation voisine de Elon Moreh, installée au sommet d'une colline dans un décor de carte postale, avec ses classes religieuses de 350 élèves, constitue la protection spirituelle du Tombeau de Joseph.
Elon Moreh

Une ville isolée du monde

La police palestinienne est restée discrète, pour ne pas dire invisible, le long de notre trajet délimité qui traverse toute la ville. Symbole d’une ville fermée, isolée à l’écart du monde juif et sans lien avec l’extérieur, enfermée dans ses frontières réduites au contour de la ville, Naplouse continue à vivre. Mais elle représente, une fois par mois, le symbole d’une coopération militaire réussie entre policiers palestiniens et armée israélienne, dans la tradition pacifique de deux camps qui s’observent sans cacher leur volonté d’en découdre.
Mais c’est aussi le symbole de l’entêtement dogmatique d’une population arabe qui refuse le contact et surtout l’accès à des pèlerins juifs orthodoxes qui tiennent à prier sur la tombe d’un juif représentant lui-même le symbole de l’exil et du retour dans son pays, après avoir fait fortune chez les «goys», les non-juifs.
Ces juifs orthodoxes arborant leurs papillotes, venus en masse vêtus de leur caftan noir, donnent l’impression de s’adonner à un nouveau paganisme. Alors que les synagogues sont des lieux vidés de toute décoration profane et que la religion impose de ne se prosterner que devant Dieu, non matérialisé,  les orthodoxes que nous avions rencontrés, tenaient à marquer leur douleur extrême, se prosternaient devant le tombeau en jouant aux pleureuses et en se couchant sur le seul symbole des restes de Joseph. Israël n'est pas à ce seul paradoxe près.

Le tombeau de Joseph


La politique et ses droits
Cliquer sur le triangle noir pour voir la vidéo
 
Le ministre Youli Edelstein personnifie le symbole de la présence et de l’influence des politiques dans la tradition juive. Cet ukrainien, élevé sous les principes laïcs, sinon athées, de l’ancienne URSS, portait certes la kippa exigée par les rabbins mais s’est estimé contraint, avec peu de conviction, de réciter les psaumes avec ses alliés politiques au gouvernement. Membre du Likoud mais proche du parti nationaliste, Israël Beiteinou d’Avigdor Lieberman avec qui il a des affinités communautaires, il caresse dans le sens du poil les juifs orthodoxes, membres d’une coalition de bric et de broc, mais qui a l’avantage de durer dans l’inertie totale.
Naplouse veut donner le symbole d’une ville qui veut continuer à vivre comme si la guerre n’existait pas avec son souk achalandé et ses rues tortueuses ressemblant à celles des villes arabes. Les palestiniens ne font aucun effort d'investissement pour la restauration de cette ville, comme d'autres de Cisjordanie, comme s'ils voulaient garder les stigmates de la guerre toujours présents dans l'inconscient palestinien. Et pourtant, elle reste célèbre pour son industrie du savon à base d’huile d’olive qui a été la marque de la ville durant plusieurs siècles. A travers les dédales des rues et malgré la nuit, on pouvait encore distinguer l’architecture de rues pavées datant du temps des Croisés, abandonnées à l’usure du temps, faites de voies en labyrinthes, conçues justement pour compenser l’absence de remparts servant à la défense de la ville.
Les traces de la guerre sont encore visibles à travers des ruines et une architecture endommagée par la violence de la seconde Intifada. Mais les palestiniens sont eux-aussi responsables de destruction puisque, par deux fois en 1996 et en 2000, ils avaient mis le feu à une école religieuse juive bâtie autour du tombeau qui avait été saccagé. L’armée avait tenu à reconstruire le site qui nous a accueillis dans une ambiance empreinte de mysticisme.
Saccage de la tombe de Joseph par les palestiniens
Mais la politique retrouvait ses droits. Interrogé à la fin de notre visite, le ministre a retrouvé sa sémantique pour critiquer le gouvernement auquel il appartient : «Nous devons reprendre le contrôle total de ces lieux pour permettre l’accès libre aux religieux et aux touristes ce qui n’est malheureusement pas le cas aujourd’hui. Le premier ministre est soumis à des pressions, pour des raisons que je ne peux pas comprendre. Nous devons trouver un arrangement politique avec les palestiniens à ce sujet»
Il avait certainement tenu à nous faire part de ce message destiné à une autre frange de la population, à l’autre extrême du gouvernement, qui risque pour des raisons spéculatives de s’orienter, aux prochaines élections, vers d’autres horizons politiques, des horizons encore mieux offrants. A l'occasion de cette visite, Naplouse nous a donnés le spectacle de la mixité entre la politique laïque et les traditions orthodoxes.

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