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mardi 12 octobre 2010

SLATE : ISRAEL, ETAT JUIF OU ETAT DES JUIFS



ISRAEL, ETAT JUIF  OU  ETAT DES JUIFS

Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps


             
        La définition de l’Etat d’Israël pourrait mener à une querelle sémantique mais, dans la reprise du dialogue avec les Palestiniens, elle risque d’être le point d’achoppement qui ferait basculer la négociation car l’aile droite nationaliste et les religieux de la coalition insistent pour ouvrir le débat sur la question juive, à plus d’un titre mal résolue. Ils veulent s’en servir comme alibi pour contraindre le gouvernement à ne plus négocier jusqu’à obtention d’un engagement ferme des palestiniens à reconnaître Israël comme Etat juif. Nabil Shaat, membre de l’équipe des négociations de l’Autorité palestinienne s’est engouffré dans le piège tendu en déclarant que les arabes ne reconnaitraient jamais un Etat juif car cela représenterait, selon lui, une menace pour les chrétiens et les musulmans citoyens d’Israël.





100% juif



            En donnant une connotation purement religieuse à un Etat qui s’appuierait sur les lois de la Halakha, les tenants de ce dogme combattent en fait les laïcs israéliens qui considèrent que leur identité s’exprime en dehors du rabbinat. Ces derniers préfèrent la notion « d’Etat des juifs » qui enlèverait toute référence à la religion et qui permettrait, selon eux, la coexistence avec les musulmans et les chrétiens dans un pays qui est aussi le leur. En cette période des grandes fêtes de Rosh-Hachana, le nouvel an, et de Kippour, la religion pèse  sur un pays qui voit un demi-million de ses citoyens fuir vers des horizons étrangers pour échapper au poids des tenants du Livre sacré.

            Le ministre des affaires étrangères Avigdor Lieberman, dont la conviction laïque est clairement affichée, s’est emparé de ce débat pour, en fait, vouer aux gémonies la minorité arabe qu’il n’estime pas loyale vis-à-vis de l’Etat d’Israël. Leader populiste d’une communauté d’immigrés russes qui ont perdu leurs repères juifs sous le régime soviétique, il multiplie toutes les embuches juridiques pour tenter d’exclure les minorités de la nation israélienne. Durant sa campagne électorale, il avait remis en cause la citoyenneté des arabes d’Israël et avait proposé de les « transférer » vers le futur Etat palestinien. Il s’était déjà prononcé, avant tous les autres dirigeants, pour deux Etats pour deux peuples.

            En échange d’Oum El-Fahm, village arabe israélien, il avait proposé d’annexer des blocs d’implantations de Cisjordanie pour avoir « un Etat juif à 100% ». Il s’était alors senti encouragé par les sondages qui démontraient que 55% des juifs israéliens croient que le gouvernement devrait encourager l’émigration des arabes et que 50% prônent leur transfert. Il avait alors affirmé : « Selon moi, pour obtenir une paix et une sécurité à long terme, nous devons opérer une véritable division politique entre les Arabes et les Juifs ». 



Alibi juif



            Ces propos avaient été qualifiés de racistes et, devant la levée de bouclier face à une vision ségrégationniste, il a adopté les dogmes du Livre Sacré afin de séduire les partis religieux, ses alliés au gouvernement. Il a donc proposé de modifier le serment des députés de la Knesset pour qu’ils jurent dorénavant leur loyauté non pas à « l'Etat d'Israël et à ses lois »,  mais « à l’Etat d’Israël en tant qu'Etat juif et démocratique ». Il ne faisait que reprendre les termes même des lois du pays.

            Israël, qui n’a pas encore de Constitution, est régie par quatorze Lois Fondamentales votées par la Knesset. De nombreux juristes estiment qu’il n’est pas nécessaire de légiférer à nouveau puisque la dixième loi votée en 1992, intitulée « Dignité humaine et liberté »   stipule que « l'intention de cette loi est de protéger la dignité humaine et la liberté, pour établir dans une loi fondamentale les valeurs de l'Etat d'Israël en tant qu'Etat juif et démocratique ».

            Or, le législateur n’avait aucune intention de donner une valeur religieuse à ce concept. Certes les fêtes juives sont des jours fériés en Israël mais la référence  « démocratique » de la loi  tient dans la liberté qui est donnée aux autres communautés non-juives de vivre en tant que minorités dans le pays. Si la déclaration d’indépendance stipule que « L'Etat d’Israël sera ouvert à l'immigration des juifs de tous les pays où ils sont dispersés », elle ne manque pas « d’inviter cependant les habitants arabes du pays à préserver les voies de la paix et à jouer leur rôle dans le développement de l'Etat sur la base d'une citoyenneté égale et complète et d'une juste représentation dans les institutions de l’Etat. »

            Certains politiques exigent des palestiniens la reconnaissance de la judéité de l’Etat d’Israël alors qu’elle figure en toutes lettres dans la déclaration d’indépendance de 1948 sans pour autant instituer une religion d’Etat. Les laïcs, qui ne voient aucune raison pour que des étrangers aient une ingérence dans les options de leur Etat, soupçonnent une excuse tendant à mettre des obstacles dans la reconnaissance mutuelle.



Etat pour les juifs



            Les sionistes historiques, et Ben Gourion en particulier, n’ont jamais milité pour la création d’un Etat destiné à la religion juive mais plutôt pour regrouper l’ensemble du peuple juif soumis à des lois civiles et non religieuses. Certes ils se sont appuyés sur certaines sommités religieuses, les ont associés aux décisions du pays, mais ils ne leur ont jamais donné le droit de légiférer au moyen de la Torah. Tzipi Livni, chef de l’opposition, qui a toujours fustigé les partis religieux parce qu’ils mêlaient politique et religion, s’est refusée à gouverner avec eux et a été claire dans sa formulation : « C'est la raison pour laquelle je soutiens la création d'un Etat palestinien, à condition qu'il soit la solution nationale de tous les palestiniens, tout comme Israël est la solution nationale pour tous les juifs. » Elle a ainsi refusé toute notion d’un Etat soumis aux diktats des rabbins.

            Benjamin Netanyahou n’est pas particulièrement éloigné de ces thèses. Dans son discours du 14 juin 2009 à l’université de Bar Ilan, reflétant un large consensus, il avait présenté sa vision politique quant à la résolution du conflit. Il avait exprimé son empressement à « voir un Etat palestinien établi à côté d’un Etat juif à condition que les palestiniens reconnaissent l’Etat d’Israël comme la patrie nationale du peuple juif ». Il a réitéré ses propos face à Mahmoud Abbas le 2 septembre : « Nous attendons que vous reconnaissiez Israël comme l'Etat-nation du peuple juif ». Mais il faisait allusion à un Etat qui serait habité en majorité par des Juifs et dirigé par des juifs mais où les minorités auraient leur droit de regard. Il n’exprimait alors aucune exigence religieuse, en tant que dirigeant laïc qui s’est d’ailleurs empressé d’échanger des vœux avec Mahmoud Abbas le jour de Rosh Hachana, jour sacré où les orthodoxes interdisent l’usage du matériel électronique ou électrique.



Perversion sémantique



            Il y a donc une certaine volonté sémantique de la part des dirigeants nationalistes pour introduire le concept de la reconnaissance de la religion juive dans l’Etat d’Israël. Ils peuvent ainsi prôner un Etat peuplé uniquement de juifs de façon à décourager les arabes d’envisager leur avenir à côté d’eux. Ils ont enfourché ce nouveau cheval de bataille parce qu’ils manquent d’arguments politiques à opposer au gouvernement devant certaines avancées dans la négociation.

            En effet le problème du gel de la construction dans les territoires semble pratiquement résolu par un accord tacite grâce à un artifice politique consistant au ministère israélien de la Défense de ne pas signer pas de nouveaux plans de constructions sans pour autant se prononcer officiellement. Des informations en provenance des négociateurs démontreraient par ailleurs que les palestiniens ont évolué sur l’acceptation de forces étrangères en Cisjordanie pour garantir les frontières de l’Etat palestinien et la démilitarisation des territoires. Ils avancent déjà le principe d’une rencontre entre Benjamin Netanyahou et Mahmoud Abbas à Jéricho avant la fin septembre, soit avant la fin du gel des constructions.

            L’aile droite du gouvernement s’inquiète d’un éventuel lâchage du premier ministre et elle invente l’arme de la religion pour rameuter les milieux orthodoxes américains dont le soutien financier et politique est fondamental pour Israël. En faisant craindre une dénaturation de l’Etat juif, elle espère une rebuffade de la part de Netanyahou qui se trouve actuellement en position de force et qui veut « confondre les critiques et les sceptiques ». Mais il n’est pas dupe et il laisse faire les religieux en sachant que le délai de un an pour parvenir à un accord est illusoire. Seulement, il veut bien laisser un capital politique au président Obama à l’approche des échéances électorales difficiles alors que Mahmoud Abbas, président en sursis, aura du mal à concrétiser. Les négociations pourront se poursuivre au gré des déclarations mais la ligne dure de la coalition israélienne a trouvé la parade dans l’exigence d’une reconnaissance d’un Etat juif qui pourrait faire capoter tout accord.



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